Je fais clairement partie de ceux qui vivent la pêche de la truite comme un sport. Je ne parle pas de compétition, mais bien de dépense physique. Cet aspect, peu souligné dans les écrits halieutiques, est pourtant l’un des attraits et des intérêts majeurs de la traque des salmonidés. C’est d’ailleurs l’une des principales raisons pour laquelle j’ai « basculé », il y a maintenant une décennie, de la pêche au coup à celle de la truite et plus spécifiquement au leurre, où l’on parcourt le plus de terrain. Tout le monde n’a pas la chance d’habiter dans une région de montagne. Toutefois, en ces temps post-Covid, de relocalisation des pratiques touristiques sur le territoire national, orienter ses temps de week-end ou de vacances pêche vers les principaux massifs hexagonaux peut être une excellente occasion de pratiquer une activité physique tout en jouissant de sa passion.
Lacs de montagne et ruisseaux d'altitude
Situés conventionnellement à plus de 1500 m, ces lacs sont relativement nombreux en France. On estime leur total à environ 1200, exclusivement concentrés dans trois massifs : Alpes, Pyrénées et Corse. Si certains d’entre eux sont accessibles en voiture, la grande majorité demande une marche d’approche qui peut aller de 30 minutes, pour les plus accessibles, à 4 ou 5 heures pour les plus éloignés des points d’accès, ceux dits de « très haute altitude », au-dessus de 2600 m. Les dénivelés positifs peuvent ainsi parfois dépasser les 1000 m, comme pour rejoindre les fameux lacs des Sept Laux présentés en juin 2021. Et c’est bien là leur intérêt pour le sujet qui nous intéresse aujourd’hui. En effet, l’attrait puissant de la pêche en lac de montagne – techniques et poissons spécifiques, beauté des paysages, immersion dans la nature, rencontre occasionnelle avec la faune sauvage – est un excellent moyen de nous inviter à grimper et à nous dépasser, même si l’on n’a pas forcément le pied montagnard. Le succès récent de la compétition Salmo Trek, dont la randonnée devient aussi importante que l’activité de pêche proprement dite, s’inscrit dans cette tendance. Une sortie en montagne doit être préparée en amont pour éviter les déconvenues, et ce, d’autant plus si vous prévoyez un bivouac sur place. C’est une excellente stratégie au demeurant, puisque la pêche en lac d’altitude est surtout productive lors des périodes de faible luminosité.
Un équipement adapté
Avant le départ, il faut bien se renseigner sur les conditions météorologiques ainsi que sur l’itinéraire, et prévoir un sac de montagne optimisé, car le temps change vite en montagne. Je ne peux aussi que vous conseiller d’investir dans d’excellentes chaussures de randonnée (Meindl, la Sportiva, Millet) ou éventuellement de trail (Salomon, Hoka), car être bien chaussé est un point clé pour se faire plaisir lors de l’ascension et durant la partie de pêche autour du lac. Enfin, n’oubliez pas que les ruisseaux de plateaux d’altitude (souvent d’ailleurs en lien avec les lacs) peuvent être, en tant que tels, de superbes destinations de randonnées. Les farios ensauvagées ou les ombles de fontaine qui les peuplent mordent bien souvent toute la journée et leur pêche est très ludique. Davantage que pour les lacs, où il faut parfois prévoir plusieurs options techniques, le matériel pourra, là, être minimaliste avec une canne ultralégère et une boîte de teignes ou quelques leurres, ce qui s’accorde bien avec l’esprit grimpeur.
Vaincre les torrents escarpés
Il y a maintenant quatre ans, nous avons publié un article consacré à une pratique que j’avais appelée le « trail fishing ». Évidemment la pêche en torrent à fort dénivelé est très loin d’être une nouveauté et dans les régions montagnardes – il faut inclure ici Jura et Massif central –, c’est même une tradition. L’aspect sur lequel je voulais insister en mentionnant ce concept, c’était la modernité de l’approche : résolument « sportive » ! En plus d’attraper des truites, le but de la partie de pêche est de faire, à bon rythme, des ascensions de torrent intégrales, et ce, jusqu’à la source ou au moins jusqu’à la limite haute des poissons, qui constitue une sorte de sommet symbolique. Là est la nouveauté puisque, traditionnellement, la pêche en ruisseau escarpé se faisait plutôt sur une portion courte, précise et bien connue, généralement dans les belles gouilles, juste le temps de faire quelques farios que l’on allait consommer. À l’instar des montagnards qui aiment diversifier leurs courses, celui qui pratique le trail fishing va donc enchaîner les torrents conquis pour les inscrire à son « palmarès ». Mon compère Olivier Meira, véritable spécialiste en la matière, en a apprivoisé près de 250 à ce jour sur les deux départements savoyards.
Jusqu'à la source
Évidemment, plus le torrent est pentu, plus l’effort physique est important, et plus le sentiment d’avoir réalisé une véritable ascension est marqué. Et à la fin, on se dit : « Ça y est, celui-là, je l’ai vaincu ! » Le fait d’être constamment en quête de nouveaux cours d’eau aux configurations paysagères et topographiques différentes permet d’éviter une certaine monotonie inhérente à la pêche en torrent et la répétition « un trou, une truite ». Pour ces opérations « crapahutes », toutes les techniques de pêche sont envisageables (nymphe, toc aux appâts naturels, vairon), mais la pêche aux leurres reste probablement la plus adaptée, du fait de l’encombrement réduit des cannes et de la rapidité de prospection. La pratique demande une tenue adaptée, un bas de combinaison de plongée ou des waders Néoprènes selon la température et des chaussures de canyoning ou de wading légères. Une bonne maîtrise de la cartographie est requise. Partir à deux est toujours recommandé. Toutefois, comme pour les alpinistes, l’ascension d’un torrent escarpé en solo a aussi ses charmes et procure une bonne dose de sensations. Communiquez à vos proches le lieu de départ, l’heure supposée de retour et n’oubliez pas de les avertir à la fin de votre escapade.
Explorer les canyons
Si le peuplement et la productivité des secteurs de canyoning sont très variables selon le milieu et les possibilités de reproduction, ils offrent en revanche assurément des truites très peu sollicitées et donc à forte capturabilité. Halieutiquement parlant, c’est là évidemment leur principal intérêt. Généralement associés aux massifs calcaires, ils sont bien présents en Corse, dans les Pyrénées et dans les Alpes, mais aussi secondairement dans le Massif central et le Jura. La pêche en canyon est évidemment très exigeante techniquement et physiquement, et ne peut pas s’improviser sans compétences. Les possibilités de guidage n’existent malheureusement pas et cette pêche reste donc pour l’instant confidentielle, réservée à une poignée de passionnés qui maîtrisent les bases de l’escalade et de la nage en eaux vives. J’ai la chance de connaître l’un d’eux (Jonathan Ménétrier ; cf. n°925) qui habite près de mon domicile et je l’ai donc pratiquée plusieurs fois ces dernières années. Pour ceux qui ont envie de s’y mettre, cette pratique sportive n’est toutefois pas inaccessible notamment avec le matériel d’escalade ultramoderne d’aujourd’hui. Il faut néanmoins bien garder en tête que les temps effectifs de pêche sont finalement assez réduits, du fait des contournements ou ascensions de cascades. De même, la taille des poissons, souvent fantasmée dans ces vasques profondes, n’est pas toujours plus élevée que dans les secteurs plus accessibles : elle dépasse rarement les 40 cm sauf gros canyon type Verdon. Le matériel de pêche embarqué, quelle que soit la technique utilisée, devra être robuste et simple. Le lancer fonctionne très bien et permet là encore de partir avec une canne télescopique ultracourte, 1,50 m environ. Le leurre de base peut être la cuillère n°2 ou 3. Très classique, elle est redoutable sur des poissons peu habitués à en voir passer. Il faut voir les attaques hargneuses des farios, parfois jusqu’à ses pieds, pour le comprendre. Les pêcheurs français ont une chance incroyable de pouvoir pratiquer quasiment en accès libre, moyennant une carte interfédérale ou départementale, dans des parcours de montagne magnifiques qui seraient privatisés dans bon nombre de pays. Je ne peux que vous inciter à en profiter, d’autant que cette pratique est aussi excellente pour la santé !