Si le barbeau méridional (Barbus meridionalis) sait se faire si discret dans le milieu naturel, c’est avant tout grâce à sa taille. À la différence du barbeau commun qui peut, dans des conditions exceptionnelles, dépasser le mètre, son homologue méditerranéen peine à atteindre la trentaine de centimètres pour seulement deux cents grammes. Sinon, d’allure générale, on ne peut pas dire qu’il existe de grandes différences entre les deux espèces, si ce n’est au niveau de son allure, assez trapue, et de sa livrée. En effet, ce représentant méridional est marbré et tacheté, et ce n’est pas un hasard si de nombreux pêcheurs locaux l’appelaient aussi barbeau truité. D’ailleurs, un œil non aguerri peut très aisément confondre un tout petit sujet avec un barbeau commun juvénile, qui possède lui aussi à ce stade des taches sombres plus ou moins marquées, et même avec un goujon. Ce qui est assez paradoxal avec ce barbeau de Méditerranée, c’est qu’aux yeux de nombreux pêcheurs du sud de la France et malgré une certaine abondance, il est considéré comme rare, bénéficiant même d’un statut d’espèce quasi menacée sur la liste rouge de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature). Allez comprendre…
Pas partout
Disons, pour relativiser, que s’il est considéré comme rare, ce statut particulier ne renvoie pas à un quelconque alarmisme mais s’explique simplement par un endémisme fort, avec une aire de répartition située quasi exclusivement en France. De nombreuses études scientifiques ont montré qu’on rencontre le barbeau méridional depuis Barcelone à l’ouest jusqu’aux Alpes-Maritimes, à l’est. Si l’espèce est apparue dans nos eaux il y a environ 25 millions d’années, sa répartition restreinte daterait des dernières glaciations (15 000 ans).
Des introductions
Fait marquant sur le pourtour méditerranéen, l’Espagne et l’Italie possèdent aussi leurs propres espèces de barbeau dont, côté ibérique, le fameux barbeau comizo (Luciobarbus comizo) ainsi que le barbeau de ruisseau italien (Barbus caninus) que l’on rencontre aussi en Suisse. En France, on trouve notre barbeau méridional dans une vingtaine de départements de façon plus ou moins abondante. Sa limite nord de répartition est en Haute-Savoie, sur le Fornant, un affluent des Usses. Il s’agirait ici d’une population isolée. À l’ouest, la présence du cyprinidé est parfois surprenante puisqu’elle ne se cantonne pas uniquement sur le versant méditerranéen comme le prouvent certaines populations aveyronnaise, tarnaise et ariégeoise qui concernent le bassin de la Garonne. Concernant cette bizarrerie, il semblerait que si la plupart de ces populations sont indigènes (voir encadré), d’autres seraient issues d’introductions. On croise même des barbeaux méridionaux, plus à l’ouest encore, dans les Landes, sur le bassin de l’Adour. Une présence ici aussi totalement artificielle.
Changement de côté
La question se pose : pourquoi trouve-t-on des barbeaux de Méditerranée sur des versants atlantiques ? Ce sont des cas particuliers qu’il faut mettre sur le compte du phénomène naturel dit de capture. Les fontes des glaciers ou l’érosion régressive sur les têtes de bassin ont engendré des mouvements géologiques ayant pu provoquer des changements radicaux et rapides (sur des milliers d’années tout de même…) de la direction mais aussi du versant d’un cours d’eau entraînant avec lui ses habitants.
Comme les truites
Ce barbeau méridional est, par nature, un cyprinidé rustique, mais il montre quelques exigences particulières, assez éloignées de celles de son cousin commun. En effet, si ce dernier apprécie les grandes rivières de plaine, occupant sa fameuse zone à barbeaux, l’habitat de l’espèce méditerranéenne se situe bien plus en amont, sur les rivières courantes et bien oxygénées de taille modeste. Ce cyprinidé apprécie même les cours d’eau de moyenne montagne. En effet, il n’est pas rare de le retrouver à près de mille mètres d’altitude, occupant en fait très souvent les mêmes milieux que la truite fario. Sa rusticité fait qu’il est capable de s’adapter à des conditions climatiques et hydrologiques très changeantes, spécifiques au bassin méditerranéen. Ainsi, il lui est tout à fait possible d’encaisser de grandes et brusques variations, liées à des périodes de sécheresse mais aussi en cas de crue. Son amplitude thermique est très large, s’échelonnant de 5 à 25°C.
Des hybrides
Bien que Barbus meridionalis et Barbus barbus soient considérés comme deux espèces à part entière, leur hybridation est tout à fait possible. Elle reste limitée puisque, de manière générale, elles ne se rencontrent guère. Si cette cohabitation existe néanmoins de façon naturelle par endroits, elle est plus souvent le fruit de l’homme. Visiblement, l’espèce endémique de Méditerranée a pris possession et s’est bien adaptée à des cours d’eau où le barbeau commun n’a pas réussi à coloniser pour s’y implanter durablement après les dernières glaciations. Cette dissociation d’habitat évite ainsi toute concurrence et toute compétition qui, lorsqu’elles ont lieu, tournent toujours à l’avantage de Barbus barbus. Cette rude compétition est due en partie au régime alimentaire très proche des deux espèces. Comme son proche cousin, le barbeau de Méditerranée est en effet omnivore benthonophage. Sa recherche d’invertébrés sur le fond est très largement facilitée par l’utilisation de ses quatre barbillons buccaux, des antennes hypersensibles.
La reproduction
Son régime alimentaire, très diversifié, s’articule au fil des saisons. Il se compose principalement de larves (éphémères, trichoptères, plécoptères, chironomes) et de gammares. Il lui arrive aussi de se nourrir de mousse et d’algues ainsi que de très petits poissons. C’est le mois de mai qui annonce le début de la période des amours pour notre discret cyprinidé. Suivant les secteurs, elle va s’étaler sur une période d’environ deux mois. La maturité sexuelle est atteinte à l’âge de trois ans environ et la reproduction est en fait assez similaire à celle de la truite fario.
Un instinct grégaire
Les frayères sont établies en effet sur des fonds de graviers, sur des secteurs bien oxygénés par un courant soutenu. Cette période renforce l’instinct grégaire du barbeau méridional. Chaque femelle rassemble auprès d’elle plusieurs mâles, qui sont toujours de taille plus petite. Des duos mixtes se forment alors pour se lancer dans une sorte de ballet nuptial. La femelle retrouve ensuite sa frayère et positionne sa papille urogénitale sur le fond de graviers pour y déposer les œufs. Les mâles, entourant toujours la femelle, se chargent ensuite de la fécondation proprement dite. Les pontes sont fractionnées par la femelle qui est capable de produire plusieurs milliers d’œufs. Après éclosion, tous ces bébés resteront bien cachés à l’abri dans les graviers, se nourrissant d’abord de phytoplancton puis de larves aquatiques (benthos).
Une maladie orpheline
Il semble que le barbeau méridional soit porteur d’une maladie d’autant plus spécifique qu’elle ne touche pas l’autre barbeau, le fluviatile. Les hybrides, en revanche, y seraient plus sensibles. La cause en est un parasite monogène dénommé Diplozoon gracile. Mais le barbeau méridional partage cette pathologie avec un autre cyprinidé à la biologie assez similaire : le goujon.
Dans notre 21e épisode de #JPCV, Julien Mathien capture un barbeau méridional en pêchant la truite. C'est à voir ci-dessous (vers 12'30) !