Du fait du caractère généralisé de cette sécheresse hors-norme , aucune région n’a été véritablement épargnée, mais cela ne veut pas dire qu’il y ait eu de la mortalité. Voici un état des lieux et tour de France des grandes régions salmonicoles. Si les causes de la sécheresse que nous venons de connaître sont assez bien connues (voir encadré), en estimer sérieusement les conséquences sur les populations piscicoles n’est pas une tâche aisée.
Le cercle vicieux
La crise climatique 2022 s'inscrit dans une séquence qui a commencé il y a plusieurs années et qui se traduit par une multiplication des épisodes d’étiages sévères. Les causes sont bien connues: des blocages anticycloniques et des remontées d’air chaud d’Afrique du Nord de plus en plus fréquents en Europe de l’Ouest, corrélés à des niveaux des nappes structurellement bas. À ces causes physiques, que l’on n’ose plus qualifier de « naturelles », il faut ajouter l’augmentation des prélèvements sur la ressource, y compris dans les secteurs de montagne moins agricoles certes mais truiticoles par excellence, et qui connaissent un afflux touristique estival grandissant avec le réchauffement climatique.
Si nous avons la chance, grâce à Météo-France, de disposer de données météo très précises et accessibles (voir encadré), il n’existe pas de services de l’État chargé d’estimer la longueur des linéaires asséchés. Quant au nombre de pêches de sauvetage recensées par département dans l’enquête de la FNPF, il n’est pas un bon indicateur. Beaucoup de fédérations interrogées ont expliqué qu’elles avaient renoncé à en faire car la situation était si grave qu’ils ne savaient plus où mettre les poissons récupérés.
Un été de feu
L’été 2022 est le deuxième été le plus chaud jamais observé en France après 2003. Cette canicule s’est cumulée avec une faiblesse des précipitations record pour le mois de juillet depuis 1959, soit le début des mesures. Les pluies ont été déficitaires partout, généralement de plus de 80% par rapport aux normales. Concernant les secteurs salmonicoles, la carte montre que les reliefs de l’Est, généralement plus arrosés, n’ont pas été épargnés et que le Massif armoricain, le Morvan, et une majeure partie du Massif central ont été les plus touchés, avec des pluies nulles ou inférieures à 5 mm sur le mois.
L’analyse des cartes Propluvia, qui recensent les arrêtés sécheresse, permet toutefois de dégager les grandes caractéristiques de cette crise : forte intensité, précocité, durabilité (de mi-mai jusqu’à l’automne parfois) et sa généralisation à l’ensemble du territoire. Au plus fort de la crise, début août, la carte montre une France entièrement rouge, avec 93 départements comportant au moins un arrêté limitant certains usages de l’eau ! Un épisode catastrophique pour les truites de France ? Pas exactement, puisqu’en affinant l’analyse en fonction des altitudes, des types de sols, ou du degré d’artificialisation des bassins, on s’aperçoit que certains secteurs ont mieux résisté que d’autres et cela d’autant plus que 2021 avait été pluvieuse et la séquence reproductive 2021-2022 souvent très efficace.
Bretagne et Normandie
Comme en 2003, ces régions au climat pourtant océanique n’ont pas du tout été épargnées par la sécheresse, qui s’est d’ailleurs éternisée jusqu’à l’automne. Il faut toutefois distinguer deux situations selon la nature géologique du sous-sol. C’est sur le Massif armoricain, avec ses affleurements granitiques ou schisteux très imperméables, que la situation a été la plus tendue. Dans le Morbihan par exemple, les chevelus très denses du bassin du Scorff ou de l’Ellé ont été particulièrement touchés et des affluents ont séché. Comme dans les Côtes d’Armor, le Finistère ou le Calvados, la pêche en première catégorie a d’ailleurs été interdite jusqu’à la fermeture. Sur les terrains calcaires, en revanche, les rivières ou fleuves côtiers ont été mieux alimentés par les nappes, comme dans les départements hauts-normands de Seine-Maritime et de l’Eure.
Le Jura et les Vosges
Les rivières emblématiques des massifs de l’est de la France ont encore connu un été vraiment difficile et les départements du Jura et des Vosges (voir encadrés) ont particulièrement souffert. Les assecs, déjà très récurrents de ces dernières années, ont été en 2022 plus précoces, plus nombreux et ils ont concerné des linéaires plus longs. Dans ce contexte, les relatives bonnes nouvelles méritent d’être soulignées. Dans le Doubs, le bassin de la Loue s’en est un peu mieux sorti que les autres. Dans l’Ain, même si la situation a été critique, la Valserine, l’Albarine ainsi que la basse rivière d’Ain ont bien résisté. Et comme 2021 avait été une excellente année pour les ombres et les truites, il y aura, sur ces rivières, de belles parties de pêche à faire au printemps 2023.
Dans les Vosges, nous avons dû « faire feu de tout bois »
Christophe Hazemann, directeur de la fédération du 88 : « La situation a été très déficitaire, accentuée dans les Vosges par une pression touristique estivale toujours plus forte sur le massif. Nous avons dû faire feu de tout bois. Grâce aux bénévoles des AAPPMA qui ont bien joué leur rôle de sentinelle, nous avons multiplié les pêches de sauvetage, notamment sur la moyenne Moselle (sols granitiques) où certains tronçons ont été inhabituellement asséchés. Notre connaissance du terrain nous a permis de limiter la casse en déplaçant ombres et farios dans des secteurs connus pour rester toujours en eau. En revanche, nous n’avons rien pu faire quand la municipalité de Gérardmer a décidé de déroger à ses obligations sur le principal affluent du lac, mettant à sec l’ultime frayère de la truite lacustre du département, annihilant ainsi des années de travail sur cette espèce. »
Le Massif Central
Le grand massif primaire a lui aussi beaucoup souffert, avec une situation quasi équivalente à 2003 et des étiages prolongés jusqu’en novembre. Dans le Cantal, assez représentatif, plus de 300 km d’assecs (sur 11 000 en tout) ont été recensés, et de façon inhabituelle sur certains tronçons. La Jordanne par exemple, en amont d’Aurillac, a connu des ruptures d’écoulement. Le nord du département s’en est toutefois un peu mieux sorti grâce à quelques pluies salvatrices courant juin. Plus à l’ouest, le plateau de Millevaches a également relativement mieux tenu grâce à la faible artificialisation et la présence des tourbières. Côté Cévennes ardéchoises, les assecs ont été plus précoces que d’habitude. Le prélèvement des farios a été interdit mais il y a eu finalement peu de mortalité, grâce à la résilience des truites autochtones aguerries. En Haute-Loire, le massif du Devès et le bassin du Lignon ont un peu moins souffert que l’Arzon, où la situation a été dramatique. Dans le Puy-de-Dôme, les étiages ont été très marqués, mais dans certains secteurs un peu moins que certaines années récentes, comme la Couze Pavin.
Les Alpes
Le plus haut massif français a été forcément avantagé par la présence des glaciers et des sommets enneigés, et ce, même si l’hiver n’avait pas été très neigeux, surtout dans les Alpes du Sud. Les cours d’eau intra-alpins prenant leur source en haute altitude n’ont pas connu de mortalité, ou très marginalement, et la pêche a souvent été bonne, voire excellente. C’est le cas par exemple des torrents des massifs de la Vanoise, des Écrins, de l’Ubaye ou du secteur de la Haute-Tinée, plus bas. En revanche, dans les Préalpes (Bornes, Bauges, Chartreuse, Vercors, Diois, Baronnies, Monges), la situation a été très difficile avec des assecs plus nombreux et plus longs qu’à l’accoutumée. La fonte trop précoce du faible manteau neigeux s’est cumulée au déficit pluviométrique, à l’image du très poissonneux bassin du Chéran entre autres, où beaucoup de tributaires se sont malheureusement taris pour la première fois.
Dans les Hautes-Alpes, « ça a tenu »
David Doucende, chargé de mission à la fédération du 05 : « Niveau pluviométrie, nous avons été aussi déficitaires que les autres. Notre régime dépend à la fois des quantités de neige stockées l’hiver, de pluies au printemps et des orages estivaux, or on n’a manqué pratiquement de tout avec des chaleurs très élevées. On pouvait donc craindre le pire. Or, de façon surprenante, même si les débits ont vraiment baissé, ça a tenu. Très vigilants sur le terrain, nous n’avons finalement pas constaté de gros assecs comme en 2019. Mieux que cela, la fonte des neiges très précoce et moins violente que d’habitude a semble-t-il eu un effet positif sur la reproduction des farios, comme l’ont attesté les pêches d’inventaires de l’automne. »
Les Pyrénées
Hormis quelques pluies au printemps dans certains secteurs, l’année a été exceptionnellement sèche dans les Pyrénées, et très chaude. La situation n’a cependant pas été dramatique. Si des assecs partiels ont été observés dans certains ruisseaux et petits cours d’eau, surtout dans le piémont, où des pêches de sauvegarde ont parfois été réalisées par les fédérations, les rivières ont globalement bien tenu. L’enneigement avait été bon l’hiver dernier et a soutenu les débits des rivières d’altitude jusqu’en début d’été. Certaines ont en outre été aidées par les lâchers de soutien d’étiage depuis les retenues d’altitude (Ariège, Garonne ou Neste par exemple). Au final, les débits ont certes été très bas pendant une longue période, les eaux plus chaudes que la normale, mais aucune grosse catastrophe n’a été constatée. La pêche n’a d’ailleurs pas été fermée. Et des truites ont été observées en activité en automne ou en train de frayer cet hiver, même dans certaines parties basses où l’on pouvait craindre pour elles à cause des températures.
1 Où pêcher après la canicule ?
2 Quel avenir pour nos truites ?