Si la truite fario est souvent qualifiée de sédentaire, ce terme n’est en réalité utilisé que par opposition à celui de grand migrateur accolé à la truite de mer, par exemple, et qui s’entend par migrateur anadrome (naissant en rivière et allant grandir en mer). En effet, la truite fario effectue elle aussi des déplacements fréquents et parfois importants au cours de sa vie. Les déplacements des truites les plus connus et documentés sont dus à la reproduction.
Les bonnes zones
Les géniteurs entament des voyages parfois importants pour trouver une zone propice à la survie de leurs œufs, puis de leurs alevins (eaux fraîches et propres, graviers non colmatés, etc.). Ils s’installent le plus souvent dans les affluents ou les parties amont des rivières où ils vivent. Cela se traduit par la migration amont des géniteurs en automne, parfois importante, puis par la dévalaison des juvéniles. Si elle est très fréquente, cette migration automnale n’est pas non plus systématique. Elle est la règle pour les truites qui vivent dans des rivières ne présentant pas ou peu de zones pour la reproduction (partie basse) ou dans celles peu pentues, où les déplacements sont faciles. Moins chez les truites de ruisseau ou de rivière de montagne assez pentues, où les déplacements, moins aisés, sont coûteux en énergie. Dans ces cas, les géniteurs trouvent aussi leurs zones de reproduction tout près de leur lieu de vie.
En compétition
Les juvéniles migrent en revanche souvent dans ces zones où les conditions de survie sont bonnes, quand leur densité est importante. Les phénomènes de compétition sont parfois sévères, surtout lors de l’étiage qui réduit la surface en eau et la profondeur et augmente ainsi les interactions entre poissons. Voyager devient souvent une nécessité et leur permet d’accéder à des zones aval moins peuplées, avec des conditions de croissance plus favorables pour les truites qui dévalent. Elles grandissent plus vite alors. Cependant, tous les juvéniles ne migrent pas. L’importance des phénomènes de dévalaison est en partie liée à l’intensité de la compétition et donc à la combinaison entre leur densité et l’habitat disponible. Et l’on aurait tort d’imaginer que les migrations aval des juvéniles sont uniquement une conséquence des migrations amont des géniteurs au moment du frai, les juvéniles dévalants étant issus des géniteurs ayant migré.
Vers la fraîcheur
Ces mouvements sont en effet observés dans des cours d’eau où aucune migration amont n’est possible. Il s’agit donc bien d’un phénomène général à l’espèce. Les truites font également d’autres déplacements, notamment pour trouver des températures plus favorables. Lorsqu’ils sont confrontés à un réchauffement excessif de l’eau (dans les parties basses des rivières à truites en été, par exemple), ces poissons se déplacent généralement vers l’amont à la recherche d’un peu de fraîcheur ou se rassemblent dans des secteurs plus frais (arrivée d’un affluent ou d’une résurgence sous-marine). Les marquages montrent que ces voyages constituent un comportement régulier chez la fario. On le voit, le qualificatif de sédentaire qui colle aux écailles de la truite fario est donc très relatif. Cette attitude est bel et bien la même pour les trois formes écologiques de truites communes : mer, lac et fario, cette dernière étant capable d’effectuer des déplacements parfois très importants (voir encadré). Écologiquement, ils leur permettent de mieux occuper leur aire de vie et les différentes parties des bassins hydrographiques qu’elles colonisent pour la recherche des zones les plus favorables à leur reproduction, leur croissance ou survie. C’est aussi le cas de la truite fario, même si certaines sont très sédentaires.
Des chiffres assez impressionnants
Dans un sous-bassin de la Meuse, des chercheurs ont parfois observé des déplacements moyens de truites de l’ordre de 8,5km, liés bien sûr à la reproduction. Le maximum était de 25km et certaines truites parvenaient à effectuer jusqu’à 7km/jour. Après la reproduction, on constate un retour assez fidèle à leur zone de vie, avec des dévalaisons de l’ordre de 9km/jour. Des études américaines ont révélé des déplacements plus conséquents, de l’ordre de 50 à 70km, 100km même parfois, dans de grandes rivières.
Recolonisation
Durant la dernière période glaciaire par exemple, de nombreuses rivières de montagne où elle vit aujourd’hui étaient recouvertes de glaciers. La fin de cette période a marqué le retrait de ces glaciers : la truite a alors migré, ce qui lui a permis de coloniser les zones ainsi accessibles. Plus près de nous, c’est ainsi qu’une portion de cours d’eau dévastée par une crue ou ravagée par une pollution est vite recolonisée dans les mois ou les années qui suivent si elle est connectée à un secteur où la population est restée importante.
Restaurer les rivières
Outre les phénomènes de pollution, il est fréquent d’observer que les parties de cours d’eau coupées de la dévalaison des secteurs amont sont souvent moins peuplées qu’elles devraient l’être. Tout obstacle à ces déplacements constitue un facteur de perturbation. Restaurer la libre circulation se révèle donc un enjeu majeur, pas seulement pour les grands migrateurs anadromes. Dans les zones de plaine ou de prémontagne, il est essentiel que les déplacements s’effectuent dans les deux sens (montaison et dévalaison). Dans les rivières pentues des zones de montagne, l’accent doit surtout être mis sur la dévalaison des poissons et l’équipement, voire l’arasement des obstacles qui la perturbent.
Les débits
Le rôle des débits est important dans les déplacements et la migration des truites. Ceux des géniteurs vers l’amont sont souvent liés, ou déclenchés, par des coups d’eau automnaux, qui facilitent leurs déplacements et leur assurent une meilleure sécurité contre les prédateurs. Des débits assez soutenus sont utiles pour que les géniteurs, même de taille modeste, accèdent aux petits affluents où leurs œufs et leurs alevins trouvent de bonnes conditions de survie. La migration aval des juvéniles est elle aussi souvent favorisée par des augmentations de débit (crues d’automne, de printemps).