Lorsque l’on évoque la pêche de l’ombre, l’image qui nous vient bien souvent à l’esprit est celle de larges rivières aux vastes lisses sur la surface desquels se reflètent les silhouettes mordorées des grands arbres piquetant les rives. S’il est vrai que la pêche automnale des ombres en sèche reste, à juste titre, un point fort de la saison pour tous les moucheurs, l’été offre également de belles possibilités de se mesurer à des poissons bien actifs mais parfois difficiles à séduire. La période de reproduction et la frénésie alimentaire qui la suit, entre la mi-avril et la mi-mai, sont désormais bien loin. L’ombre a repris ses esprits et sa « sagesse » et ne se laisse plus facilement leurrer par tout ce qui bouge entre deux eaux ou qui dérive en surface. On a alors affaire à des poissons en bien meilleure forme et beaucoup plus méfiants. Par ailleurs, les conditions, en matière de météo ou de qualité des insectes disponibles, ont bien changé.
Petites et grandes rivières
Il y a lieu de distinguer deux situations assez différentes. Celle des petits et moyens cours d’eau de première catégorie et celle des grandes rivières. Dans le premier cas, la baisse des débits et la hausse de la température de l’eau sont souvent très marquées dès le début du mois de juillet. Cela contribue beaucoup à « concentrer » les poissons dans des havres de fraîcheur, sur des secteurs parfois restreints : zones profondes entre les « nassis » dans les rivières calcaires, les courants vifs en aval des seuils, les bordures enrochées et profondes, aux turbulences marquées. Lorsque les conditions deviennent caniculaires sur ces petites rivières, il n’y aura guère que le matin ou le soir que l’on pourra voir quelques poissons s’activer sur des gravières peu profondes à la recherche de larves ou venant chercher en surface quelques insectes à la dérive en amont des radiers. Le reste de la journée, les ombres se réfugieront dans les courants plus profonds. Ces poissons aiment la lumière mais lorsque les températures de l’air et de l’eau deviennent excessives, ils privilégient tout de même la recherche des veines les plus fraîches du cours d’eau et l’abri profond des grands blocs.
L’attrait des fourmis
Il existe pourtant quelques exceptions à cette règle. C’est le cas lorsque se produisent des retombées massives de fourmis ailées, parfois même en plein après-midi ensoleillé, comme cela arrive parfois sur la Loue. Les ombres se positionnent alors sur les vastes gravières peu profondes qu’ils occupent d’habitude au mois de mai ou de juin. En grandes rivières, sur les parcours de deuxième catégorie en particulier, les modifications liées à la température et aux précipitations sont moins marquées et ne font sentir vraiment leurs effets que durant le mois d’août où les ombres, là aussi, recherchent la fraîcheur dans les courants profonds, dans l’ombre des arbres de la rive ou à l’abri des dalles et des rochers. Ils y passent l’essentiel de leur temps, ne s’aventurant sur les « lisses » moins profonds que si des éclosions significatives se produisent ou si des retombées importantes de fourmis ailées les tirent de leur torpeur. Et ne comptez pas trop sur eux pour animer vos coups du soir.
En nymphe
Dès que cela est possible, il est très agréable de pêcher l’ombre en nymphe à vue. C’est le cas dans les rivières calcaires où les eaux sont transparentes. On peut également trouver des conditions correctes sur quelques bancs de galets et de sable dans des rivières granitiques bien exposées à la lumière. Il n’est pas toujours facile de repérer et d’observer le comportement de ces poissons face aux nymphes dans les zones un peu turbulentes et assez profondes et il est préférable de commencer par s’attaquer à des individus postés sur des gravières peu profondes. Les habitués de la nymphe au fil peuvent continuer à utiliser leurs nymphes préférées, en particulier les perdigones, en privilégiant toutefois les modèles les plus petits et les moins lestés. Mais, au cours de l’été, bien d’autres modèles, plus imitatifs, leur sont souvent supérieurs. C’est le cas des petites imitations de larves de baétidés et des minuscules nymphes lisses et vernies dans des coloris gris, paille, caramel ou olive. Ces nymphes peu lestées sont posées très en amont du poste et durant toute leur dérive on ne quitte pas des yeux le poisson. Une discrète avancée de celui-ci vers l’amont ou un léger écart latéral indiquent l’intérêt qu’il porte à la nymphe. La prise du leurre est en revanche plus délicate à déceler. Il est rare que l’on voit « le blanc » de la bouche qui s’ouvre pour se saisir du leurre comme c’est souvent le cas avec la truite. En revanche, un signe très utile à connaître est la position que prennent les nageoires pectorales juste avant que l’ombre n’engame la nymphe : elles frémissent légèrement, s’écartent et se positionnent horizontalement. C’est alors le moment de ferrer.
Imitatives et incitatives
Dans les zones un peu turbulentes et profondes, il est difficile d’utiliser ces petites nymphes légèrement lestées et on se rabattra alors sur les grands classiques que sont les nymphes soudées, les nymphes moulées chères à Piam et les modèles contemporains en céramique ou les perdigones. Qu’elles soient imitatives ou incitatives, on peut se poser la question de l’opportunité d’animer ces nymphes au cours de la dérive. Un petit retrait, un relevage discret ou un tremblotement modéré sont bien plus efficaces qu’une animation brutale en dents de scie. La nymphe au fil garde évidemment toute son efficacité au cœur de l’été. C’est sans doute la meilleure période pour utiliser les petits modèles de perdigones et les modèles incitatifs. Les menthols, gazolines mais également les perdigones bleues, violettes et les noires à cul rouge sont à essayer sans a priori et peuvent parfois se révéler supérieures à toutes les autres. Lorsque vous avez trouvé un coloris qui marche, n’allez pas croire que vous êtes tranquille pour toute la durée de votre séjour de pêche. Cela peut changer d’un jour à l’autre, parfois même d’une heure à l’autre. Pour aborder les postes assez profonds des bordures, parfois étroits et encombrés, il est souvent préférable de supprimer la potence et de pêcher avec le plus de précision possible à l’aide d’une seule nymphe. Lorsque les conditions deviennent caniculaires et que les eaux se réchauffent vraiment, les ombres stationnent dans les courants assez vifs et il ne faut pas hésiter à les chercher « en plein bouillon », à l’aval des seuils par exemple et sur des postes profonds. Les matériaux dont on dispose aujourd’hui, en particulier le tungstène, permettent de relever le défi.
En sèche
La période estivale n’est pas la préférée des moucheurs pour pêcher l’ombre en sèche. Mais les spécialistes et les amoureux de ce poisson savent bien que les possibilités d’en prendre quelques-uns en sèche demeurent bien réelles et qu’il s’agit souvent d’un défi très gratifiant lorsque l’on parvient à le relever. En juillet et encore plus au mois d’août, la pêche des ombres en sèche devient difficile, en particulier dans les petites rivières. Cela tient à différents paramètres. La baisse du débit dans les cours d’eau rend tous les poissons plus stressés et plus méfiants. L’ombre n’échappe pas à la règle. L’augmentation de la température de l’eau et la baisse du taux d’oxygène limitent leurs déplacements et leur appétit. Si on ajoute à cela le fait que les éclosions se raréfient au fil des semaines, il est aisé de comprendre que les conditions ne sont pas idéales. Pourtant, et en particulier dans les grandes rivières, les occasions de se régaler en pêchant en sèche existent encore. La première situation déjà évoquée correspond à la présence des fourmis ailées. Les retombées se produisent volontiers les jours de forte chaleur, souvent par temps couvert et généralement en fin d’après-midi. Mais, on l’a dit, cela peut aussi arriver en plein après-midi ensoleillé ! Il faut donc toujours disposer dans nos boîtes de modèles imitant au mieux ces hyménoptères. Un point important concerne la taille de ces imitations. Prévoyez des modèles montés sur hameçon de 22 à… 12 (vous avez bien lu !) et observez attentivement les fourmis qui défilent en surface, lilliputiennes ou mastodontes, voire de taille différente lors d’une même retombée.
Petits trichoptères
Une deuxième opportunité se présente sur les courants assez vifs et moyennement profonds, en particulier en milieu de matinée lorsque s’invitent sur l’eau de petites espèces de trichoptères. On les imitera avec de petits sedges à aile en pardo Corzuno ou Flor de Escoba en taille 18. Les gobages des ombres sur ces postes sont souvent très furtifs et parfois difficiles à déceler. Il faut ouvrir l’œil. Certains de mes amis adorent « pêcher l’eau » dans ces conditions et capturent bon nombre de poissons ainsi. Quelques très beaux spécimens viennent également parfois, en fin d’après-midi, dans l’ombre des grands arbres ou des rochers des bordures, au-dessus des postes très profonds et assez lents pour cueillir en surface des chironomes et autres diptères de différentes espèces. Il s’agit alors d’une pêche très technique et difficile, mais tellement passionnante. On privilégiera des modèles imitatifs comme on en trouve chez AB Fly ou Florian Stephan.
À manipuler avec précaution
Les journées très couvertes ou légèrement pluvieuses en absence de vent ont tendance à booster l’activité des ombres et, pour peu que quelques éclosions se produisent, ils viendront volontiers gober en surface quelques friandises. Il peut s’agir de baétidés de deuxième génération (à imiter sur des hameçons de taille 18) ou des mouches très claires comme Centroptilum luteolum, dans des coloris crème ou paille. Ces jours-là, les anciennes émergentes telles que les concevait le regretté André Terrier en coloris gris pâle, crème ou blanchâtre peuvent faire un malheur tout comme la Branko Killer en version très pâle. Les mouches fantaisie quant à elles, mis à part le voilier menthol, me semblent moins efficaces en cette saison et ne retrouvent mes faveurs qu’au cœur de l’automne. Un dernier mot enfin sur le combat et la manipulation des ombres en été. Même si l’on doit parfois les pêcher sur des pointes très fines, en 10 ou 8/100, il faut abréger le plus possible la durée du combat, quitte à casser de temps en temps! Les ombres sont en bonne condition mais restent fragiles et le manque d’oxygène les épuise très vite. Utilisez systématiquement des mouches sans ardillon, et dès que vous le pouvez, évitez-leur le passage dans l’épuisette. Saisissez-les doucement sans trop les serrer puis soutenez-les, main à plat sous leur ventre, avant de les libérer le plus vite possible de l’hameçon, sans les sortir de l’eau… Et évitez les « selfies » pour épater la galerie.