Les journées raccourcissent, l’air se charge d’humus, la nature revêt ses teintes mordorées. Cette période de transition sonne un appel solennel : celui de notre retour au bord de l’eau, canne à mouche en main, dans le secret espoir de leurrer un beau brochet sorti de sa torpeur estival. Avec les premières baisses de température, le poisson fourrage gagne les bordures et les hauts-fonds afin de profiter des dernières douceurs de l’été indien. De telles concentrations sont bien évidemment sujettes à remettre en branle la chaîne alimentaire avant l’arrivée des frimas hivernaux. Abondance rime souvent avec bombance. Notre cher carnassier, partisan du moindre effort, n’a, quant à lui, qu’à se tenir posté afin de profiter de cette manne providentielle. Difficile pour nous de rester de marbre devant le spectacle de ces gerbes étoilées, souvent le fait de plusieurs brochets pris de frénésie alimentaire. Que les perches s’en mêlent, et c’est à une véritable curée automnale à laquelle, à notre tour, nous sommes conviés !
Des streamers magnifiques tout simplement snobés
Tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes si nos streamers habituels – pour peu qu’ils s’identifient à une ablette, un rotengle ou autre met de circonstance – n’étaient pas, au mieux, snobés, au pire, ignorés. La frustration est d’autant plus grande que ce banquet pantagruélique bat son plein durant de longues minutes, puis s’arrête soudain pour reprendre de plus belle quelques mètres plus loin. Interloqué, excédé, dépité, vous changez de modèles, variez les animations, multipliez les angles d’attaque, pour tenter de contrer dans le meilleur des cas des montées courtes. À court de propositions, un seul remède pour ne pas frôler la crise de nerfs : prendre le temps de l’observation et changer de paradigme. Force est de constater qu’en effet les brochets ne sont pas attablés sur des proies de tailles coutumières. Ils se gavent en fait d’alevins de l’année ou de la génération précédente, autrement dit de petites proies, entre 4 et 6 cm tout au plus. En fonçant sans vergogne dans le « tas », il leur suffit d’ouvrir simplement la gueule pour faire le plein de mini-sushis. Face à de telles incartades, la panique s’installe et tout ce qui nage dans leur rayon d’action prend éperdument la fuite. Et c’est là que le piège de l’illusion s’est refermé sur le pauvre moucheur, qui a pourtant bien vu des vifs larges comme deux ou trois doigts crever la surface pour sauver leurs écailles. Abondance de biens ne nuit pas dit l’adage, pas si sûr lorsque le mode sélectif est enclenché !
Les imitations d’alevins entrent dans le jeu
L’enjeu n’en demeure pas moins de taille : comment présenter des imitations d’alevins, au mieux de poissonnets, montées sur des hameçons de dimensions suffisantes pour espérer ferrer et combattre nos trublions ? Sur des hameçons numéros 6 ou 8, qui équipent généralement les streamers du commerce destinés à la truite, inutile de préciser que le jeu est quasi perdu d’avance. Quand bien même le brochet se trouverait piqué par bonheur, la hampe a toutes les chances de s’ouvrir au premier rush. Pour ceux qui ne montent pas leur mouche, il faut se tourner alors vers de petits modèles destinés à la mer, montés sur des hameçons compris entre des n°2 et 6 en choisissant des profils de mouche qui minimisent ses dimensions afin de se rapprocher au plus près de la taille des proies concernées. Après bien des recherches et de nombreux tests, j’ai personnellement opté pour les modèles du fameux monteur américain Enrico Puglisi qui combinent sa fameuse EP fiber et des hameçons ultra-piquants et forts de fer de la marque Gamakatsu (les SC15 Gap pu L11S). Même dans ses collections destinées aux salmonidés, on trouve des modèles très intéressants comme le Mid minnow (en taille n°2), la série Perfect minnow (en taille n°4). Côté mer, le choix est large avec une préférence toutefois pour les Micro minnows (en taille 4), les Ghost et les Glass minnows de par leur profil monté sur des hameçons légèrement surdimensionnés, car une des clés est là !
Le choix de la taille et de la forme de l’hameçon est bien entendu crucial : il se doit d’être léger mais solide, doté d’une large ouverture de hampe et d’un très bon piquant. Outre la marque Gamakatsu, on trouve aussi de très bonnes références chez Mustad (3407-34011), TOF (SS 1920-2X), Varivas ou Ahrex pour ne citer qu’elles. J’ai dernièrement testé les modèles ASM destinés à la carpe qui répondent très bien à notre cahier des charges.
Astuces de montage
Pour ceux d’entre vous qui montent leurs propres modèles, il est donc intéressant, à partir du cahier des charges exposé plus haut, de monter ses propres « minnows » au plus près des observations et des proies concernées. Synthétiques ou naturels, nombreux sont les matériaux qui offrent du réalisme et/ou des vibrations. J’ai personnellement un petit faible pour les montages en plume de marabout montages de type soft hackle qui confèrent une nage ondulante et attractive. Par eau claire, le réalisme peut cependant faire la différence, jeux de résine et fibres synthétiques permettent de forcer le trait de l’imitation. J’ai par ailleurs expérimenté les montages tandems qui permettent de rester sur de petites tailles d’hameçons avec la présence d’un hameçon chance donc, et les montages tube-flies qui offrent des opportunités intéressantes dans le jeu des rapports possibles entre une petite mouche et là encore un hameçon surdimensionné. Soyons clairs, même avec un bon piquant et un ferrage appuyé, les risques de décrochage seront toujours plus importants avec un hameçon de taille 2 ou 4 qu’avec un 6/0. Mais généralement, notre goulu de brochet a tendance à aspirer ces petites proies, ce qui permet souvent à notre hameçon de se retrouver planté dans le cartilage intérieur de la mâchoire, donc de tenir bon le temps d’un combat qui devra, autant que faire se peut, être abrégé.
Le jeu du chat et de la souris
Dans tous les cas, la miniaturisation est la seule façon de tirer notre épingle du jeu dans le cas qui nous occupe. Cette tendance permet aussi de pêcher plus léger avec des cannes de puissance 6 ou 7 qui autorisent des posés discrets sur l’eau. Une soie trop lourde qui claque la surface, a fortiori sur un haut-fond, a toutes les chances de sonner l’alerte. Commence ensuite le jeu du chat et de la souris ! Mais comment diable votre imitation va-t-elle pouvoir se singulariser à travers une telle concentration de petits poissons fourrage. Le mimétisme, certes, nous l’avons évoqué plus haut : le premier critère à respecter est la taille, et plus l’eau est claire, plus le coloris naturel s’impose. C’est donc bien la qualité de la présentation ainsi que de l’animation, plus que le facteur chance, qui vous permettra de faire la différence. Côté discrétion, outre le fait d’utiliser une soie plus légère, nouer un petit streamer sur un fluoro de 80/100 est évidemment vain. La taille de l’œillet d’un hameçon de taille 2, a fortiori 4, autorise un 50/100 qui ne résisterait pas à la dentition de notre carnassier. J’opte personnellement pour un avançon en acier gainé Wireline de la marque Vision – résistance de 15 lb – qui se noue facilement (outre le fait d’être thermosoudable) et boucle très peu. Ses qualités me permettent, à l’occasion, de positionner deux streamers à 40 cm l’un de l’autre, à l’aide d’un nœud de potence, afin de jouer sur l’effet « nombre ».
Concernant l’animation, tout est question d’observation et de timing. Lors d’une phase de répit, entre deux chasses, une animation minimaliste (de courtes tractions sur la soie entrecoupées de pauses) semble plus appropriée. Au contraire, lors d’une phase de frénésie, une récupération rapide à l’image d’un poissonnet qui prend la fuite éperdument semble mieux coller au rythme. « Semble », car parfois le contraire n’en est pas moins vrai ! Il convient donc de multiplier les essais. Petite astuce : une animation de type rolly polly, canne coincée sous le bras, permet de varier la vitesse tout en conservant une tension permanente sur la soie afin de réagir au moindre « toc » ou parfois à une impression de lourdeur. Mais soyez rassurés, le doute ne sera que de courte durée.
Petits mais costauds : quelques modèles qui ont fait leurs preuves
À noter : les mouches Puglisi sont distribuées en Europe par TOF Fishing.