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Brochets lapons au streamer

Quel doux rêve : partir à la prospection de lacs vierges de toute pression de pêche où vivent en paix de belles populations de brochets qui n’ont probablement jamais vu l’ombre d’un streamer. Un tel projet vaut bien un petit déplacement en Laponie et quelques piqûres de moustiques en prime. Mais, au-delà du voyage, c’est bien la courbe d’apprentissage et le retour d’expérience qui méritent un retour.

Non ce n’est pas le récit d’un énième voyage – fut-il des plus dépaysant et réussi – auquel je souhaite vous convier. C’est plutôt l’envie de partager le comportement de notre cher Esox en milieu nature (et sauvage !), c’est-à-dire sans pression de pêche aucune, qui m’anime. Quoi de mieux qu’un laboratoire vivant, exploré canne à mouche en main ? Je veux parler de « Pike Land », autrement dit de la Laponie suédoise et de ses nombreux lacs situés à 300 km au-dessus du cercle arctique. Une destination idéale pour se livrer à quelque observation tout en profitant de la densité de population là où chez nous, en seconde catégorie, les occasions se font comparativement plus rares… le retour d’expérience aussi.

Au début du printemps, les brochets lapons font preuve d’une agressivité étonnante
Crédit photo : David Gauduchon

Des brochets en plein boost

Pour mémo, rappelons que ces brochets lapons évoluent six mois par an, parfois plus, sous une épaisse couche de glace. Un mode léthargique qui, s’il ne les empêche pas de se nourrir a minima, les rend d’autant plus agressifs, dès la fin du printemps. Perches et poissons blancs en lacs, truites et ombres en rivières, en font les frais. Dans ce paysage de taïga, de l’eau il y en a partout, à commencer par d’innombrables tourbières qui font office d’éponges. Les eaux sont ici transparentes, mais brunes comme les brochets qui arborent des robes sombres et dessinées. À ma question, un local, croisé au hasard d’un chemin, me répondit : « Des brochets ? Ben il y en a partout ici. »

Contrairement aux idées reçues, les coups du soir tardifs étaient peu productifs.
Crédit photo : David Gauduchon

Sous ces latitudes septentrionales, le rythme de la nature est bien différent : tout s’enchaîne plus brutalement, rapidement, tout est plus contrasté, âpre aussi. À l’arrivée des beaux jours, les températures font le yoyo. Lors de notre passage début juillet, le thermomètre était passé subitement de 10 à 29 degrés, un peu excessif je vous l’accorde, preuve que le ressenti du réchauffement climatique au nord est une réalité bien prégnante (CQFD!). La chaîne alimentaire se met en branle dans une sorte d’effervescence. Chacun de ses acteurs, du plus petit au plus gros, veille à sa survie, dans ce qui pourrait s’apparenter à un véritable contre-la-montre. Grossir au plus vite pour survivre ! La fraie terminée, les femelles brochets, accompagnées d’une cohorte de petits mâles, vont encore rester un moment dans ces zones peu profondes, riches en plantes aquatiques : anses et hauts-fonds, chenaux de communication entre les lacs, roselières qui sont autant de garde-manger. La migration du poisson-fourrage vers les bordures, là où l’eau se réchauffe plus vite, répond à un cycle immuable. La suite, nous la connaissons, elle se jouera en un acte jusqu’à l’automne, précoce sous ces latitudes. Un schéma des plus classiques me direz-vous et qui peut être calqué, avec une échelle de temps différente, sur celui de nos contrées plus méridionales. Autant de points de repère pour attaquer une prospection pleine d’espoir, canne à mouche en main !

Un premier constat s’impose, les prises restent modestes en taille.
Crédit photo : David Gauduchon

Des premiers résultats décevants

Les voyages sont toujours riches en enseignements. Je dois reconnaître que nos premières sorties sur des lacs pourtant identifiés, au point GPS près, comme abritant une riche population de brochets – un ami guide avait endossé le rôle d’éclaireur l’année précédente – furent quelque peu décevantes. Notre première erreur fut sans doute de les aborder trop tard en journée, privilégiant la lumière du soir (bien qu’il fasse jour toute la nuit !) et quelques degrés de moins… Avec cette chaleur inhabituelle des premiers jours, mieux valait taquiner les ombres dans les courants, pensait-on. Si la pêche se soldait difficilement par une trentaine de brochets à deux cannes en 4 heures de sortie, leur taille n’avait rien de folichon non plus : le plus gros atteignait tout juste 80 cm, 70 cm étant le gabarit standard. Pas besoin de plus de deux sessions pour comprendre que nous n’étions pas dans le vrai.

Les fonds de baies sont incontestablement des postes fréquentés
Crédit photo : David Gauduchon

Côté streamer, un éventail de dimensions et de coloris y passait à chaque fois sans qu’aucune vérité n’éclate véritablement, tout au plus un modèle coloris perche de 15 cm créa l’illusion. Soie flottante ou intermédiaire s’avéraient suffiisantes pour prospecter des bordures parsemées de touffes d’herbiers et des plateaux situés dans leur prolongement, entre 50 cm et 2 mètres de profondeur. Sur la première cassure qui plongeait à 3/4 mètres de profondeur, une soie de type S2 ou S3 ne permettait pas d’enregistrer plus de touches. Pour trouver, faut-il encore savoir où chercher ! Mais où étaient donc passés ces brochets que nous avions imaginés « à la queue leu leu »… Mystère et déception ! Une chose est sûre, passé 23 heures, dès que la température baissait, qu’une brume venait à nimber la surface du lac, les touches cessaient subitement. Rideau ! La sortie suivante fut calée en plein après-midi, sous un soleil ardent. À mon grand étonnement, les attaques furent plus nombreuses bien que la taille de nos adversaires demeurât identique. L’utilisation de plus gros streamers (jusqu’à 25 cm) n’y changea rien, pas plus sélectifs. Quant au popper ou autre slider, ils eurent pour seul mérite de ne déclencher aucune attaque. Penser que les brochets lapons étaient du genre facile à séduire, prompt à se jeter sur tout ce qui bouge, aurait été là notre première erreur ? Il fallut nous rendre à l’évidence : nous n’étions pas au bon endroit au bon moment !

Une remise en cause de la stratégie et des postes à prospecter s’impose.
Crédit photo : David Gauduchon

Repenser sa stratégie

Rétrospectivement, notre principale erreur fut de prospecter ce lac par sa branche nord qui avait pour mérite d’être plus facile d’accès. Certes le décor était bien planté, séduisant à souhait. Tous les critères étaient présents (configuration et diversité des postes, profondeur, etc) pour en faire une « autoroute à brochets ». Se pencher sur les cartes et la météo devenait donc nécessaire pour chasser le spleen, tout relatif, qui s’em‑ parait de moi et de mes compères. Lecture topographique, repérage des pistes (quand il y en avait), historique des bulletins météo des huit derniers jours, nous épluchâmes chaque information accessible. Très vite notre attention se porta sur deux grandes baies au sud-est du lac et sur la queue de ce dernier. Un vent de nord avait sévi les jours précédents notre arrivée, balayant ainsi plein axe ses 600 ha. Peut-être tenions-nous là un début de réponse.

Les petits streamers font dans ces conditions toute la différence
Crédit photo : David Gauduchon

À la pêche comme dans la vie, il ne faut pas confondre vitesse et précipitation. Chercher au petit bonheur la chance de plus gros spécimens à travers une telle superficie, sans écho sondeur ni relevés bathimétiques revenait ni plus ni moins à chercher une aiguille dans une botte de foin. Il nous fallait revenir aux fondamentaux. 45 minutes de marche avec les float-tube sur le dos, en contournant tourbières et accidents de terrain n’est pas chose aisée, croiser des hordes de moustiques déchaînés non plus… Ce fut le prix à payer pour atteindre ce nouveau secteur du lac : une vaste baie peu profonde (tout au plus 2 mètres) sertie dans un paysage assez monotone. Seules quelques hauts-fonds laissaient apparaître des zones de végétation éparses. Dubitatifs nous commençâmes la prospection en remontant la rive gauche pour les uns, les autres s’engageant au plus profond de la baie. Nous fûmes assez vite fixés sur nos choix respectifs : tous les deux ou trois lancers se soldèrent par une attaque prompte à vous arracher la soie des mains… et autant de décrochés. La vélocité de ces brochets nordiques, tout comme leur pugnacité, n’avaient déjà pas manqué de nous surprendre les jours précédents. Leur intensité redoublait. Mais de là à ne capturer qu’un poisson sur trois  - malgré un ferrage appuyé, canne basse doublée d’une traction sur la soie - fit monter d’un cran la pression. Nos streamers chartreuse, blanc ou à dominante orangé  - le coloris semblait peu importer à vrai dire à condition de passer au bon niveau- étaient pourtant montés sur des hameçons 6/0 voire 8/0. Difficile de trouver le bon compromis car, déjà lourdes, nos imitations s’accrochaient sur un fond tapissé d’herbiers. Même dans peu d’eau, sur des bordures recouvertes de végétation, des modèles flottants ne déclenchaient que très rarement une réaction d’agressivité. Dommage et frustrant car rien de telle qu’une attaque de surface toujours spectaculaire. Après deux bonnes heures de pêche, un relevé des compteurs s’imposait en même temps qu’une pause roborative. Nous avions tous déclenché au bas mot une trentaine d’attaques, les plus adroits ou chanceux totalisaient une dizaine de brochets pris et relâchés. Pas de quoi fanfaronner, même si cette zone nous semblait déjà plus prometteuse que celle des deux jours précédents, avec une taille moyenne entre 75 et 80 cm.

Les résultats s’annoncent prometteur
Crédit photo : David Gauduchon

Du lourd avec du light

Je me grattais tout de même la tête. Certes un tandem ou un hameçon chance décalé nous aurait permis d’améliorer notre taux de réussite au ferrage, mais un tel montage aurait exclu la prospection de la zone la moins profonde, là où nous avions enregistré 80 % des touches. C’est notre ami Nicolas, « piker » novice, avec seulement six mois d’ancienneté, qui s’en était finalement le mieux tiré avec un petit streamer blanc et rouge armé d’un 2/0.

Une superbe capture.
Crédit photo : David Gauduchon

À la pêche, on est parfois son propre ennemi : ma sélection ne compor‑ tait que de grands modèles… Après avoir retourné mes boîtes, je finis par trouver deux deceivers montés sur des hameçons à hampe courte, longs de 12 cm, destinés initialement au bar. Dans l’eau claire, leur ventre blanc agrémenté d’un dos sombre en herl de paon se voyait comme un élan au milieu de la route. Miracle ! Leur densité leur permettait une immersion lente, des animations vives ou lentes dans moins d’un mètre d’eau, leur permettant d’évoluer au-dessus du fond sans accrocher. Je décidai de prospecter de l’autre côté de la queue du lac, là où notre fameux Nicolas fit son premier métré, de sa courte carrière, le matin même. Toujours sur son petit nuage, il démarra sa prospection à une cinquantaine de mètres sur ma gauche, là où le relief était marqué d’une pente douce qui s’ouvrait sur une seconde anse encore moins profonde. Très vite nos palmes touchèrent le fond. Cependant Nicolas se souviendra longtemps de cette session puisqu’en une demi-heure, il prit coup sur coup deux brochets, l’un dépassant le mètre l’autre allègrement les 110 cm, ce dernier le gratifiant d’un combat qui lui fit oublier les jours précédents, plus laborieux il est vrai. Pour ma part, j’allais vivre une session des plus mémorables, digne des pêches que j’avais pu faire jusqu’ici dans le grand nord canadien. Le truc, car il y en avait un, consistait finalement à lancer sa petite imitation au ras de la bordure, dans moins de 50 cm d’eau, puis d’amorcer un strip long avant de l’immobiliser. À chaque fois, c’était bingo, un suivi ou mieux une attaque explosive suivie de chandelles. La seconde partie de l’après-midi fut du grand spectacle avec près d’une quarantaine de spécimens, entre 80 et 100 cm, pour nos deux float-tubes. Je vous laisse imaginer le rythme comme si tous les beaux brochets du lac s’étaient donné rendez-vous sur ce secteur, postés côte à côte. Une densité folle qui eut bientôt raison de mes deux pauvres modèles de deceiver en stock. La messe était dite !

Ces brochets sont de fantastiques combattants
Crédit photo : David Gauduchon

Malgré ma préférence pour les « grosses bouchées », dois-je préciser que depuis cette expérience, je porte un nouveau regard sur l’utilité de petits modèles pour séduire des brochets de belle taille. Il y a des jours où ils ne veulent rien d’autre. Ce n’est pas tant la taille qui compte que la qualité de l’action de nage ! Autre observation marquante : la taille de l’hameçon et son efficacité dans ce cas précis. Beaucoup moins de décrochés comme si les brochets aspiraient cette proie plus petite, tous étant parfaitement piqués à la commissure de la gueule. Quant à l’absence d’ardillon, leur décrochage n’en était que plus aisé, des stigmates en moins. Sacrée leçon qui se solda par un mal de bras et des mains « passées au hâchoir » car bien évidemment j’avais oublié mon gant protecteur et ma paire de pinces… Épilogue de cette journée mémorable : à la pêche c’est le poisson qui décide ! Ne pas s’adapter c’est par conséquent passer à côté de l’essentiel : l’efficacité ! Inutile de vous préciser que le lendemain la température chuta brutalement. La surface du lac fut balayée par un vent froid et puissant, un petit 12 degrés. Il nous fallut par conséquent revoir notre copie. Mais une chose est sûre, nous connaissions maintenant la richesse de ce lac !

Sans ces deux modèles, type deceiver; montés initialement pour traquer le bar sur les côtes bretonnes, l’issue de la pêche aurait été des plus incertaines. Hameçon Tiemco 34007, n°2/0 à hampe courte, leur longueur n’excède pas 12 cm. Il s’est avéré que leur légèreté relative m’a permis de prospecter une couche d’eau qui n’excédait pas plus de 1,50 m, sans s’accrocher, qui plus est, aux herbiers qui tapissaient le fond. La bonne animation associée à la bonne taille : les beaux spécimens ne voulaient rien d’autre !
Crédit photo : David Gauduchon

Si les grosses bouchées décident souvent les beaux sujets, il faut reconnaître que ce séjour lapon m’a bousculé dans mes certitudes ! Montée par mon ami Dudu, cette « mini piker point » de 8 cm, montée en bend back (hameçon inversé) sur un n°1 a fait le job, agrémenté ou non d’une palette. Curieusement, le supplément de vibration n’a pas montré plus d’efficacité
Crédit photo : David Gauduchon

 

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