Traquer le brochet en lac, c’est entrer dans une nouvelle dimension, à coup sûr repousser les frontières du possible de la pêche avec une canne à mouche en eau douce, techniquement parlant tout du moins, pour qui ne s’est jamais frotté à la mer. Finis les milieux confinés, les postes à vue, les spots accessibles en wading ou en float-tube qui font tout le charme d’une telle approche. S’attarder sur les bordures des grands lacs délimitées par de vastes roselières, c’est, la plupart du temps, se contenter de capturer de petits sujets qui y trouvent refuge. Excepté à la période du post-frai, lorsque les grosses femelles s’attardent sur des hauts-fonds, la plupart du temps, leur recherche se fera au large, sur des plateaux dont la profondeur variera selon la saison et les conditions climatiques. Nous sommes bien là dans une démarche exigeante tant sur le plan de la technique de pêche que du matériel. S’aventurer sur de grands milieux, qui plus est au streamer, est une démarche qui s’adresse à celles et ceux qui ont en tête de capturer des brochets trophées. Disons que les choses sérieuses commencent à 90 cm mais c’est bien la barre fatidique des 100 que l’on cherche à franchir, 110 pour ceux qui ont déjà des métrés au compteur. Il faut bien avoir conscience de l’engagement nécessaire, tant mental que physique. Les « Specimen Hunter » qui pratiquent aux leurres le savent bien, la persévérance et une bonne dose d’abnégation sont des qualités requises pour réussir. Le moucheur devra en faire preuve tout autant, si ce n’est deux fois plus !
La sécurité, une préoccupation bien réelle
Qu’on se déplace à bord d’un kayak ou d’un bateau motorisé sur une grande étendue d’eau, la prudence sera de mise. Loin de moi l’idée de vous effrayer mais il faut garder à l’esprit qu’un lac peut se transformer en mer intérieure sous l’action du vent. Une houle bien installée peut rendre la pêche difficile, voire dangereuse. Par conséquent, mieux vaut connaître ses limites et celles de son matériel. Vérifier la météo est par conséquent un préalable incontournable avant tout projet de sortie. Partir avec de l’électronique (sondeur GPS) dont on maîtrise parfaitement l’emploi en est un second. « Un homme averti en vaut deux » n’est-ce pas? Les mois de mai-juin et septembre-octobre sont de loin ceux que je préfère pour pêcher ces grandes étendues d’eau de plusieurs centaines à milliers d’hectares, que ce soient des lacs naturels ou des lacs de barrage. Au printemps comme à l’automne, le brochet s’alimente dans les couches d’eau supérieures qui bénéficient des températures les plus clémentes, entre 2 et 6 m en moyenne. Il suit les mouvements du poisson fourrage, adoptant tantôt un comportement pélagique tantôt plus casanier. D’une semaine à l’autre, d’un jour à l’autre, il peut se déplacer, changer de hauteur dans la colonne d’eau comme parcourir des distances importantes. Nous touchons à la sacro-sainte problématique de la pêche en lac : le repérage des zones favorables.
J’ai eu la chance de beaucoup pêcher avec mon ami Christopher Defillon, qui comme son mon ne l’indique pas, est un excellent guide qui officie en Irlande. Il a fait de la pêche en lac sa spécialité ; il guide aux leurres ou à la mouche. Son approche reste la même et est par définition transposable à nos lacs français : sur un secteur nouveau, il va s’attacher à rechercher les hauts-fonds, les plateaux immergés plus ou moins profondément. Le sondeur est par conséquent un auxiliaire indispensable pour détecter, au milieu de nulle part, le relief favorable et sa profondeur. Les cartes bathymétriques, de type Navionics, qui équipent les combinés aujourd’hui font gagner un temps précieux car elles permettent une étude au préalable. Lorsque ces tracés n’existent pas, Christopher n’hésite pas à passer en mode prospection des jours durant parfois, afin de créer sa propre cartographie. En action de pêche, les modes chirp, down et side imagine (ou équivalent selon les marques de sondeur) vont permettre de passer d’une lecture macro à une lecture micro afin d’affiner sa recherche selon les conditions du moment. Fermons cette parenthèse néanmoins indispensable pour revenir à l’action de pêche à proprement parler.
La quête du poisson fourrage
Une fois le secteur retenu, une autre information tout aussi capitale reste à valider : y a t-il du poison fourrage sur zone, bancs de blanchaille ou de perches ? Selon la densité présente, il y a fort à parier que les brochets ne sont pas bien loin même si leur écho caractéristique n’apparaît pas systématiquement à l’écran. Dans le cas d’un plateau herbeux, par exemple, les prédateurs, selon qu’ils sont en activité alimentaire ou non, peuvent y être plus ou moins profondément dissimulés mais jamais bien loin ! Toute la stratégie de pêche consistera ensuite à conduire les bonnes dérives sur les secteurs repérés et susceptibles d’être habités. Lorsque les brochets sont décollés ou se trouvent « au cul des blancs », le doute s’estompe comme par magie. À ce petit jeu, le vent est un allié ou se transforme en ennemi. Modéré et constant, il est idéal pour notre condition, nous autres pauvres pêcheurs à la mouche. On le préférera dans le dos, ce qui facilitera grandement les lancers avec de grands streamers.
Un ensemble pour soie de 9, voire 10, d’action de pointe est indispensable. Trois cannes équipées de soie intermédiaire, S3 et S7, permettent de faire face à toutes les conditions, de faire passer son stream à la bonne hauteur d’eau et à la bonne vitesse. Deux points essentiels. Lorsque les brochets sont actifs, voire très énervés, une intermédiaire peut suffire, même dans 6 mètres d’eau, les brochets n’hésiteront pas à décoller pour se saisir de votre mouche. A contrario, il faut parfois venir leur lécher les babines avec une animation très lente. La mise en œuvre de la double traction est nécessaire pour lancer à 20 mètres minimum d’autant qu’il vous faudra compenser la vitesse de la dérive. Certains jours, les brochets, d’humeur badine, suivent le streamer sur de longues distances avant de se décider à l’attaquer le temps d’une pause ou d’une accélération. L’attaque est parfois fulgurante à 2 mètres du bateau alors que l’imitation remonte vers la surface et semble leur échapper. Il convient d’être toujours concentré et de ne pas retirer sa mouche trop vite de l’eau. La fameuse figure en huit, chère aux pêcheurs de musky, est de mise ! Pour l’anecdote, lors d’une de mes dernières sorties automnales, j’ai pris un 110 qui est venu contre le bateau pour se saisir de mon streamer de 20 cm alors qu’il évoluait dans 4,50 m d’eau. L’adrénaline a été au rendez-vous d’autant qu’il est reparti par où il est venu, c’est-à-dire à l'aplomb du bateau après avoir surgi des herbiers qui remontaient jusqu’entre deux eaux.
La question capitale du ferrage
Au risque de vivre la désillusion de votre vie de pêcheurs de « big pike », ne négligez pas un point essentiel : le ferrage. On ne le dira jamais assez, « soignez votre ferrage » d’autant qu’il est nécessaire de résorber la vitesse de la dérive. Talon posé sur la hanche, canne basse, la main gauche doit tirer fermement sur la soie d’un geste ample, à deux reprises pour assurer le coup. La gueule d’un gros brochet est pavée de mauvaises intentions et dure comme du roc. Si le « client » a aspiré votre streamer qui est venu se planter au fond de la gorge, il y a en revanche peu de chances que vous le perdiez au cours du combat. Les lacs, s’ils peuvent de prime abord nous impressionner, voire nous laisser perplexes par leur immensité, sont des milieux qui recèlent de potentielles populations de grands brochets. Ils constituent un véritable challenge. Les jours où les planètes sont alignées, il n’est pas rare de voir son streamer attaqué par plusieurs brochets, souvent de tailles similaires, sur une dérive parfaitement ciblée. Les boules de poissons fourrage sont de véritables aimants qui ont vocation à concentrer notre prédateur et à le mettre dans de bonnes dispositions. Être au bon endroit au bon moment, c’est tout le mal que je vous souhaite si, à votre tour, vous vous aventuriez dans ces grands milieux.
Les indispensables
L’ancre flottante
C’est un accessoire indispensable pour freiner la dérive du bateau dès que le vent se renforce. Dans certaines conditions extrêmes, deux ancres sont parfois même nécessaires pour se caler sur la bonne vitesse de dérive.
Le panier à soies
Rien de pire qu’une soie qui sèche et s’emmêle sous l’action du vent. C’est la crise de nerfs assurée quand des nœuds se forment. Plutôt que de perdre de précieuses minutes à les défaire, prévoyez un panier de lancer rempli d’un peu d’eau ou, à défaut, servez-vous de votre épuisette pour y lover votre soie.
La densité des soies
Une S3 s’avère bien souvent la plus polyvalente en action de pêche. Elle permet de mettre rapidement en action votre streamer que vous pêchiez à 1 mètre sous la surface ou plus creux. Lancer loin permet alors de compenser le ratio vitesse de dérive-temps d’immersion. Mais le jour où la force du vent est trop importante et que cherchez les 4-5 mètres de profondeur, une S7 fera le job.
La bonne longueur des streamers
"À grosse bouchée, gros brochet", cette devise est parfois démentie ! Quand on sait qu’un petit brochet est capable d’attaquer un streamer de sa taille, cela laisse imaginer ce qu’un brochet métré ou plus est capable d’avaler. Si une taille comprise autour de 20 cm semble constituer une bonne moyenne, la question du volume du streamer (donc sa capacité à pousser de l’eau et à émettre des vibrations) doit aussi être prise en compte. Les matériaux synthétiques, par conséquent hydrophobes, sont alors les composants les mieux adaptés pour ne pas avoir à lancer une enclume.
La qualité des hameçons
Le combat avec un beau spécimen met à rude épreuve votre armement, notamment les hameçons à tige longue de type Aberdeen. Ne négligez ni leur solidité ni leur piquant.