Bernard Beaugé, l'ébéniste qui fait mouche

Chez beaucoup de pêcheurs à la mouche sommeille un talent d’artiste qui parfois s’ignore. Certains d’entre nous sont musiciens, d’autres peintres ou écrivains… Bernard Beaugé, quant à lui, a toujours été habité par la passion du travail du bois. Vous l’avez sans doute déjà croisé sur son stand au détour d’un Salon. L’homme est trop humble et discret pour se mettre en avant, aussi se cache-t-il derrière ses objets qui sont l’expression même de son talent. Autant de créations qui font la part belle aux essences nobles, parfois rares, toujours sélectionnées avec la plus grande attention.

Coffret de transport pour cannes, valise de montage pour voyageur, enrouleur de soie, porte-cannes, station de montage, porte-mouches, tire-bottes, tablettes à nymphe, porte-moulinet, présentoir de cannes, etc. Une liste à la Prévert qui s’allonge sans cesse au gré d’une créativité qui semble sans bornes. Mais derrière cette nomenclature, il faut prendre le temps d’observer et de poser la main, voire de caresser, chaque artefact pour comprendre qu’on a affaire à un véritable artisanat d’art destiné aux esthètes.

Quand chaque création est unique

La finesse des vernis, la qualité des ornementations, la pureté des emboîtements, la beauté des rondes-bosses, la solidité des charnières et des poignées sont à mettre en perspective avec le fait que chaque création est par définition unique. « Je déteste me répéter. J’ai donc horreur du travail en série. Chaque objet est pour moi une aventure, un challenge qui doit répondre aux exigences de chaque client. En 2016, quand j’ai commencé à montrer le bout de mon nez, je n’avais rien à vendre, simplement mes services à proposer. Mais je me suis vite rendu compte que le concept était un peu trop abstrait. J’ai donc créé une collection à partir de laquelle chacun peut me demander des modifications ou des évolutions. J’accueille avec le plus grand plaisir une commande d’un pêcheur comme dernièrement ce coffret de montage. Je me suis déplacé chez le commanditaire pour valider chaque point, prendre les dimensions de son étau, le nombre de porte-bobines et de tiroirs de rangement, le choix des essences et la personnalisation des dessins. J’ai fini par lui faire des rangements magnétiques et inclinables pour ses plumes », raconte Bernard Beaugé qui semble presque éprouver, par pudeur, une certaine gêne à se raconter.

C’est finalement au bord de l’eau et dans son vaste atelier que l’homme semble le plus à l’aise. Il confie parfois devoir faire face à un choix cornélien : aller à la pêche ou descendre les marches. Quand une idée lui trotte dans la tête dès potron-minet, c’est vers sa table à dessin qu’il se dirige. À 61 ans, ce jeune retraité n’a en rien perdu le goût de l’ouvrage, bien au contraire. Alors qu’il était destiné à être maçon, il s’est vite aperçu que le métier n’allait pas le combler. Le travail du bois lui trottait déjà dans la tête, mais il lui fallait gagner sa vie. Jeune marié, ses premières économies passeront dans une machine à bois avec la bénédiction de son épouse qui l’a toujours soutenu dans ses passions.

"On ne met pas un bijou dans une boîte de camembert"

« Je ne savais rien faire, je suis autodidacte. J’étais juste habité par une envie impérieuse qui m’a poussé à la curiosité. À l’époque, Internet et ses tutos n’existaient pas. Je me suis réfugié dans les livres et l’expérience ne se transmettant pas, j’ai fait mes premières armes en fabriquant des meubles, puis, rapidement, je me suis mis à tourner et à sculpter les pieds. J’ai appris de mes tâtonnements et de mes erreurs. Après de longues journées de travail dans un magasin de matériaux, je me remettais à l’établi », explique Bernard Beaugé qui, passionné de pêche à la mouche, s’est mis à fabriquer des boîtes pour lui et ses copains. Une bonne base pour exprimer son goût pour l’ébénisterie où il mêle l’art de la marqueterie et bientôt de la sculpture.

En 2014, il casse sa tirelire et commande une canne en bambou refendu qu’il va retirer chez un facteur renommé. Livrée dans une housse en tissu, le contenant ne lui semble pas à la hauteur du contenu. Sur la route du retour, il cogite à l’écrin qu’il pourrait lui fabriquer. « On ne met pas un bijou dans une boîte de camembert », se dit-il. Croquis, prototypes, Bernard Beaugé en viendra à créer un coffret à six faces (comme la structure de son bambou) doté d’un système de fermeture hexagonal, par emboîtement, qui fera l’objet d’un brevet déposé. Les idées n’appartenant à personne, autant les protéger. Depuis, d’autres ont suivi à l’instar de cette valise de montage qui fait aussi l’objet d’un dépôt. Quand on a la chance de pénétrer dans l’antre de notre ébéniste pêcheur, la première sensation est olfactive. Ronce de fresne, olivier, loupe de peuplier, koto bleuté, loupe de madrona, noyer, movingui, poirier, chêne, amarante, tilleul, peuplier, padouk, le parfum des essences est une invitation à découvrir plus avant le savoir-faire de Bernard Beaugé qui fait appel à cette fameuse intelligence de la main à travers chaque étape de réalisation.

Quand on sait qu’une boîte à mouche reçoit six couches de vernis et qu’il faut attendre douze heures de séchage entre chaque, faites le calcul. Une marqueterie sur un coffret de montage peut exiger jusqu’à 70 heures de boulot. D’ailleurs, s’il lui fallait commercialiser ses petits chefs-d’œuvre au taux horaire courant, inutile de préciser qu’il ne connaîtrait pas un tel succès. Mais quand on aime on ne compte pas, n’est-ce pas Bernard ? D’ailleurs, pour son départ en retraite « active », devinez ce qu’il s’est offert ? Un combiné à bois six opérations en 300 de large ! Les spécialistes apprécieront ! Une chose est sûre, Bernard Beaugé, l’homme qui voulait devenir un jour ébéniste, est en train d’accomplir son rêve !