Perche : les ombres de l'Huisne

Nul n’est prophète en son pays ! J’ai délaissé l’Huisne un certain nombre d’années pour courir aux quatre coins de la France et du monde, alors que ses eaux fraîches bruissent à seulement une heure trente de chez moi. Mea culpa ! Mais à l’invitation de mon ami Yanick Fraspauce, l’idée de retrouver cette rivière qui s’écoule dans les paysages authentiques du Perche n’était pas pour me déplaire. Je faisais même preuve d’une certaine impatience pour ne pas dire fébrilité. Nostalgie : souvenirs de pêche en sèche des étendards de Haute Normandie ? Gourmandise : Marie-Antoinette, son épouse et cuisinière élevée au rang de cordon-bleu ? Curiosité : qu’était devenue la rivière ces 15 années durant ? Trois bonnes raisons de m’y rendre en ce mois d’octobre, l’occasion de prolonger la saison fouet en main ! Nogent-le-Rotrou, sous-préfecture alanguie, riche de son patrimoine, peut être fière de son château Saint-Jean et de sa vaillante tour défensive du XIe siècle qui dominent la vallée traversée par l’Huisne. Laquelle serpente, méandre, louvoie au gré de son caractère espiègle.

De larges plats ponctués de fosses

Nous sommes ici sur le fief AAPPMA La Nogentaise qui gère 45 kilomètres de rivières de première catégorie (la Berthe, la Rhône et la Cloche affluents de l’Huisne) et de seconde catégorie, soit 13 km environ du linéaire de l’Huisne, sur deux berges. Le changement de catégorie se trouve, plus amont, au pont de chemin de fer de Condé-sur-Huisne, c’est alors l’AAPPMA de La Truite condéenne qui gère sa partie en seconde jusqu’au lieu-dit La Galaizière. Au gré des radiers et des lisses, l’Huisne prend tantôt l’apparence d’un chalk stream, tantôt celle d’une rivière de plaine lorsqu’elle se perd dans de larges plats ponctués de fosses. Une ripisylve abondante lui offre un caractère intimiste et des zones d’ombre favorables à l’activité des poissons durant la période estivale. Il est intéressant de noter que durant l’été dernier marqué par la sécheresse, le niveau de l’Huisne s’est très bien maintenu avec une bonne lame d’eau. Ses eaux claires sont restées fraîches grâce notamment à son important chevelu. Pays de bocages et de forêts, cette partie nord-ouest de l’Eure-et-Loire fait office de château d’eau naturel. J’ai toujours aimé l’Huisne tant pour la qualité des paysages qui la ceint que son profil varié. Cette rivière offre bien des facettes et ne manque jamais de me surprendre au détour d’un méandre. Suffisamment large, entre 15 et 20 mètres selon les secteurs, voire plus en aval de Nogent-le-Rotrou, elle se scinde parfois en deux bras, formant de petites îles boisées. De nombreux seuils naturels offrent des accélérations de courants à l’instar de l’emplacement d’anciens moulins ou fabriques équipés aujourd’hui de digues hydrauliques.

Les secteurs du Petit et Grand Radray jusqu'au Moulin Lecomte

Les secteurs marqués par différents ponts, dans le centre même ou en périphérie proche de Nogent-le-Rotrou, confèrent à la rivière un profil intéressant. Car pêcher l’Huisne, a fortiori en seconde catégorie, c’est s’offrir une partie de cache-cache avec les ombres qui ne stationnent évidemment pas partout ! C’est là que l’ami Yanick Fraspauce est d’une aide précieuse. Avec sa canne en bambou refendue montée par ses soins, à partir de ses propres profils, il a l’art de poser sa mouche exactement là où il faut ! Mieux vaut donc ne pas s’en écarter d’autant que ses boîtes recèlent des imitations issues d’un incessant travail de création. « À cause de ses crues parfois violentes, l’Huisne est une rivière qu’il faut apprendre à lire car les tenues des ombres peuvent changer d’une saison à l’autre, même si certains secteurs restent de grands classiques », explique cet homme discret et fin connaisseur de la rivière.

C’est un véritable plaisir que de découvrir les parcours de la Nogentaise, sans perdre de vue le château Saint-Jean. Bien qu’il soit impossible de parcourir les 26 kilomètres de berges en un week-end, quelques sauts de puces d’aval en amont permettent de se faire une bonne idée du potentiel et de la diversité offerts par l’Huisne. En aval, j’ai eu personnellement eu un coup de cœur pour les secteurs du Petit et Grand Radray jusqu’au moulin Lecomte. La rivière roule ses eaux sur de nombreuses gravières, substrat de petits cailloux et de sable parsemés de végétations aquatiques qui grouillent de macro-invertébrés. C’est bien évidemment en tête de pools - là où se forme une légère dépression - qu’il convient de s’attarder après s’être placé idéalement afin de conduire des dérives courtes mais parfaitement maîtrisées. Mais pas que, m’explique Yanick, qui privilégie aussi les sorties de pools ou de fosse avant que le courant ne décélère. La lecture des courants nourriciers est primordiale. Les ombres peuvent aussi se tenir près de la berge et se placer systématiquement au milieu de la rivière serait une erreur. En ce sens, l’Huisne est une rivière assez atypique tout comme ses ombres sont fantasques !

Pêcher court et soigner sa dérive

Je m’en apercevrai notamment sur les parcours centraux, à l’aplomb de ma vieille ville, celui du Pont de Bois et de la Piscine notamment jusqu’au Tertre Gasnier. En ce début d’automne, les éclosions se font plus sporadiques, parfois multiples entre les baétidés et les chiros même si un sedge de type Rhyacophyla peut mettre tout le monde d’accord. Il faut donc avoir la bonne imitation, un fin diamètre de bas de ligne est requis bien qu’il soit inutile de descendre en dessous de 10/100 d’autant que la capture accidentelle d’une belle fario n’est pas à écarter. À ce propos, chaque saison, des truites de belles tailles (entre 40 et 50 centimètres voire plus) sont capturées.

À bien observer Yanick, qui m’aura mis quelques ombres dans la vue avec sa 8 pieds, je comprends qu’il faut pêcher court, soigner la dérive afin d’éviter les micro-dragages parfois imperceptibles à distance. Plus facile à dire qu’à faire car, sur certains secteurs, de très nombreux micro-courants contraires se forment. Mieux vaut donc privilégier l’efficacité, quitte parfois à pêcher en bout de canne et tordre le cou aux grands principes. Bien sûr les dérives aval avec une longue pointe peuvent s’avérer efficaces, mais la question du ferrage reste délicate tant ces ombres normands montent sur votre imitation avec une extrême rapidité. Le jeu est d’autant plus subtil que d’autres espèces de seconde catégorie viennent brouiller les cartes. « Si l’ombre est l’espèce “repère” sur l’Huisne, la truite fario est aussi bien représentée. Parmi les autres poissons gobeurs ou susceptibles de prendre une nymphe, citons le chevesne, l’ablette, la vandoise, le rotengle et le barbeau dont certains spécimens méritent qu’on s’y attarde », précise Yanick Fraspauce. Lorsque l’activité de surface est absente, la pêche en nymphe au fil avec une canne de 10,5 pieds pure soie de 2 ou 3 s’avère efficace en peignant les veines d’eau plus ou moins profondes.

Un visage sauvage

Je terminerai mon week-end sur les secteurs amonts dit « du Goulet » et des Ecouplières où la rivière se rétrécit, un peu abritée par un couvent végétal épais. L’Huisne offre un visage sauvage et les postes se multiplient toujours à travers cette alternance de courants et de zones lentes et profondes. J’ai pu remarquer un nombre important d’ombrets de moins de 30 cm, de deux ans donc, qui attestent de la qualité du fraie même si, selon Yanick, cela ne doit pas cacher une réalité : la population globale d’ombres a baissé ces dernières années. Plusieurs raisons à cela, liées aux modifications environnementales et agressions qu’a subies l’Huisne. « Parmi les facteurs déterminants, le changement d’agriculture… Les pâturages ont laissé la place aux cultures céréalières avec leur cortège de pesticides et engrais qui altèrent la qualité de l’eau et provoquent l’eutrophisation de la rivière accompagnée par la disparition de l’entomofaune environnant, estime Yanick Fraspauce. Le drainage abusif des terres cultivées a eu pour effet de déposer des limons – sables très fins dits “sables à lapin” – sur les fonds pierreux colmatant ainsi les frayères. Certaines crues violentes, ces dernières années n’ont rien arrangé. » Fort heureusement, la Fédération de pêche et le groupement des AAPPMA du Pays Perche ont réagi en mettant un ambitieux un plan de préservation et de restauration qui semble porter ses fruits, même si l’effort ne doit pas être relâché. En quittant l’Huisne, c’est un sentiment de retrouvailles et d’espoir qui m’a habité. Mea culpa pour l’avoir délaissée pendant tant d’années alors qu’elle est si passionnante à pêcher, technique à souhait et toujours aussi emplie d’un caractère qui force au respect. Promis, j’arpenterai ses berges au mois de mai prochain. La mouche de mai est en effet une période à ne pas rater. Celles d’Ephemerella ignata, de la Sialis lutaria et de bien des baétidés non plus. Un dernier conseil : au mois d’août, inutile de vous acharner à présenter des sulphures, les ombres du Perche ne les prennent pas ! À bon entendeur, salut !