Après plusieurs jours dans le nord de la Patagonie Argentine avec Benoît et Adrien de DHD Laïka, nous mettons cap au sud, vers Rio Pico dans le centre de cette région méridionale. Le pick-up avale le long ruban d’asphalte, franchit quelques cols, puis file bientôt sur d’immenses lignes droites traversant des paysages souvent arides, caillouteux à souhait et d’où émerge une maigre végétation. La circulation est à l’image de la population: rare. Après plusieurs heures, nous bifurquons pour nous rapprocher enfin du relief, et tout change : l’herbe s’épaissit, forme bientôt de belles praires, avec des arbres ici et là, d’autant plus qu’on s’approche des Andes. Nous finissons par une piste caillouteuse, puis arrivons enfin devant l’immense portail en bois du lodge « Tres Valles », digne d’un ranch du Far West, derrière lequel paissent tranquillement de nombreuses vaches et chevaux. Le lodge est splendide, dans ce mélange de bois rustique et raffiné qui fait le charme des belles constructions de cette région. Depuis l’immense baie vitrée, on peut apercevoir les sommets chapeautés par de la neige fraîchement tombée, ainsi que le lac qui sera au programme de notre première matinée.
La soie file à toute vitesse
Arrivée au bord de l’eau, le lendemain, surprise : elle est un peu turbide, ce qui témoigne, certes, d’une bonne production de plancton, mais rend très difficile la pêche à vue… Cuni, qui nous guide aujourd’hui, nous conseille de pêcher en sèche nymphe, avec une imitation de terrestre soutenant une nymphe nouée 40 cm plus bas. Nous ne tardons pas à voir un gobage, puis un autre un peu plus loin. Mais impossible de voir les truites ! Qu’importe, nous nous approchons de la zone d’activité et commençons la pêche. Je pose ma mouche où une truite a gobé quelques secondes auparavant. Mais dans quelle direction s’est-elle déplacée? Impossible de le savoir. J’attends un peu, anime légèrement, et perçois un léger remous sous ma sèche. Je ferre, gros remous… et voilà la soie qui file à toute vitesse! Après une belle bagarre, Adrien vient m’épuiseter une magnifique arc-en-ciel, large, épaisse, et qui dépasse largement la barre des 2 kg. Quel régal, dans ce cadre somptueux avec les sommets enneigés qui se reflètent sur le lac. Nous reprenons la pêche, essuyons plusieurs refus, et c’est bientôt Adrien qui se retrouve avec la canne pliée, avant de mettre au sec une autre arc du même gabarit. Oui, ce lac est bien productif et offre de sacrées conditions de croissance aux truites !
Spring Creek
Puis l’activité ralentit et nous décidons de changer de spot pour pêcher un « spring creek » aperçu la veille en arrivant, un gros ruisseau issu d’une source et traversant des prairies. J’ai déjà vu des images de ces petits cours d’eau si typiques, mais je n’ai jamais eu l’occasion d’en pêcher. Celui-ci est large de 2 à 3 m à peine et méandre paresseusement dans une prairie où des sauterelles bondissent à chacun de nos pas. C’est évidemment une de ces imitations que Cuni nous conseille de fixer au bout de nos lignes. Dans chaque méandre, une zone profonde bordée d’herbiers aquatiques ou de graminées retombantes forme un poste prometteur. La pêche est assez technique, nécessitant discrétion mais aussi précision pour poser sa mouche dans la petite zone ouverte sans accrocher les herbes, tout en tentant de jouer avec le vent qui commence à se lever. Mais quel bonheur, quel spectacle de voir, sitôt la mouche arrivée sur le coup, une truite sortir des herbiers ou de sa cave et ouvrir une large gueule pour engloutir notre grosse sauterelle! Dans la plupart des postes intéressants et correctement attaqués, nous faisons monter une truite. De splendides farios, brunes, ponctuées de points rouge vif et d’un gabarit étonnant pour ce petit cours d’eau, la plupart autour des 40 cm et les plus belles dépassant largement les 50. Incroyable moment, qui me restera longtemps en tête et me permet de mieux comprendre l’engouement de certains pour ce genre de cours d’eau. Puis le soleil décline, le vent forcit, et la journée s’achève dans une belle ambiance baignée d’une superbe lumière dorée, dans cette praire qui danse au rythme d’Éole, entourée de collines et avec les sommets enneigés en point de mire. Il est l’heure d’aller déguster un verre de malbec…
Rio Nilson
Le jour suivant, nous pêchons les Rio Nilson et Pico. Large d’une quinzaine de mètres, le Nilson coule des eaux limpides sur un fond de graviers qui crissent sous les semelles. Entre chaque radier, un joli courant plus ou moins profond bordé de quelques frondaisons ou d’arbres morts noyés, formant autant d’abris pour les truites. La température augmente et les premiers gobages crèvent bientôt la surface. Ici, là, et là… et, bientôt, partout. Les truites sont en place, gobant délicatement et en rythme les insectes qui passent sur la surface. Chaque mouche bien présentée les intéresse. Mais si elle drague légèrement ou ne passe pas exactement dans la bonne veine d’eau, elle continue son chemin. Les truites, des arcs-en-ciel le plus souvent, font pour la plupart entre 30 et 45 cm, et sont aussi belles que bagarreuses. Quelques plus beaux poissons sont aussi présents, le plus souvent embusqués sous les frondaisons et pas faciles à atteindre. Nous nous régalons, enchaînant les captures. Sur un petit courant bordant une souche, je prends huit truites en autant de lancers, avec une petite mouche en chevreuil. Après chaque prise, je pose ma mouche un peu plus en amont et une truite vient la gober. Ce courant semble inépuisable ! Combien y sont réellement postées ?
Les truites montent en cadence
Après un bon casse-croûte, nous pêchons ensuite le Rio Pico. L’air est doux sans être trop chaud, de nombreux insectes sont visibles sur l’eau et dans l’air, et les gobages crèvent régulièrement la surface. Après plusieurs captures, je m’approche doucement d’un courant bordé de frondaisons. Dissimulé dans la végétation, je peux observer les truites, alignées, postées à 30 ou 40 cm sous la surface, qui montent en cadence pour prendre tantôt une mouche, tantôt une nymphe. Quel spectacle! Je me décale et commence ma pêche, suivant des yeux la mouche qui dérive, voyant la truite monter tranquillement pour la cueillir ou la suivre un peu et redescendre si un petit dragage se produit. La plupart dépassent les 40 cm. Puis, j’arrive à un poisson un peu plus gros, qui ne veut pas monter malgré plusieurs bonnes dérives. Je troque ma sèche contre une petite nymphe légère. Au premier passage, je la vois qui se décale et ouvre la bouche… Pendue! Un peu plus haut, la rivière s’élargit et présente de nombreux herbiers. Dans la plupart des couloirs ou des bordures d’herbiers suffisamment profondes où elle est bien présentée, la mouche fait monter une truite, arc-en-ciel ou fario, qui sait toujours parfaitement utiliser cette végétation pour tenter de me fausser compagnie et se décrocher. Les captures s’enchaînent, et cela semble ne jamais s’arrêter… Quelle journée ! Une des plus belles que j’ai vécue en pêchant la truite à la mouche, assurément. Une sorte de quintessence de ce que la pêche à la mouche peut offrir, dans une alchimie magique d’eau limpide, de truites avenantes et joueuses, de nature préservée dans un coin aux saveurs de bout du monde et de paradis originel pour moucheur. Je m’assieds, pose ma canne et contemple cet endroit, repu, rasséréné… et simplement heureux.
Des farios trapues et bagarreuses
Le lendemain, nous pêchons le Rio Pampa. Plus rapide, coulant des eaux légèrement bleutées car dévalant de sommets encore enneigés, il présente le profil typique d’une rivière de montagne, avec un large lit de galets portant encore les stigmates des épisodes de fonte de neige printanière. Ici, pas de gobages visibles, mais il faut pêcher l’eau, prospecter les bordures moins rapides ou les parties dans lesquelles le flot s’assagit, avec une sèche bien flottante suivie d’une petite nymphe. La pêche est agréable, les truites très actives, surtout à partir du milieu de matinée, lorsque le mercure monte de quelques degrés et met en branle tout le petit monde des insectes. Tous les jolis coups rapportent des truites, beaucoup de farios, trapues et bagarreuses. Les captures s’enchaînent. Dans une belle tête de courant, alors que je ramène une petite truite qui vient de gober ma mouche, un gros fuseau noir fonce sur elle puis se détourne au dernier moment. Je scrute le courant et la repère bientôt, postée profondément sous un puissant courant où on peut l’apercevoir au gré des passages de lentilles lisses. Je change ma sèche pour un beau streamer. Lancer en amont, je le laisse descendre puis commence à animer, et la voilà qui décolle et se rue sur lui ! Quelques minutes plus tard, après un combat intense mais bref, elle arrive dans mon épuisette. Une magnifique fario, que je voyais plus belle au fond de l’eau, mais qui dépasse largement les 50 cm, avec une tête énorme et des dents immenses. Un vieux poisson assurément, qui ne demande pas son reste et regagne rapidement son repaire.
C’est ainsi que s’est achevé ce séjour en Patagonie, qui m’a permis de lever un coin de voile sur cet immense et formidable territoire, où coulent d’innombrables rivières aux profils et caractéristiques variés, le plus souvent bien peuplées en truites sauvages et dont la plupart se révèlent très intéressantes pour la mouche. Des rivières nombreuses, magnifiques et bien peuplées, sans avoir vu le moindre pêcheur, et une saison de pêche inversée qui permet de pêcher en hiver lorsque c’est fermé chez nous… Si le paradis existe, la Patagonie n’en est certainement pas loin !
Infos pratiques
- Saison de pêche : du 1er novembre au 1er mai.
- Permis de pêche par province, à la journée, la semaine ou l’année.
- Matériel conseillé : canne de 9’ à 9’6 #5, moulinet avec un frein correct et au moins 50 m de backing. A noter que les semelles en feutre sont interdites
CONTACT
Compte tenu des difficultés d’accès et des nombreuses propriétés privées bordant les rivières, le recours à un guide est fortement recommandé.
L’agence DHD Laïka connaît parfaitement cette destination, vers laquelle elle propose différents types de séjours.
Tel: 01 42 89 33 64 ou site : www.dhdlaika.com