Mequinenza est reconnue comme la Mecque des pêcheurs de silure, sandre et autres grosses carpes. À partir d’aujourd’hui, la petite bourgade de la région d’Aragon en Espagne restera dans les mémoires de tous les pêcheurs au coup, tant sa richesse piscicole en poissons blancs a été révélée au grand jour. On nous annonçait un championnat épique et les scores réalisés comme les travaux entrepris pour l’accessibilité n’ont eu d’égaux que le décor somptueux ! L’Ebre est le plus grand fleuve d’Espagne. À sa confluence avec le Rio Segre, il forme le réservoir de Ribarroja. Si à Mequinenza, le parcours parfaitement aménagé offre une belle et grande ligne droite en plein centre-ville, ce sont des travaux titanesques qui ont permis aux pêcheurs de batailler dans un véritable canyon.
Un parcours diversifié
Chaque poste bénéficiait d’un espace permettant aux pêcheurs de s’installer confortablement, mais ils avaient à faire face à des profondeurs très importantes et variables d’une zone, voire d’un poste à l’autre. Les entraînements ont confirmé que le profil des fonds épousait celui de l’environnement montagneux. Il fallait donc être archi prêt pour pratiquer dans moins de 1 mètre sur les deux secteurs de Mequinenza, jusqu’à 8 mètres et plus sur les trois de Fayon. Sur certains postes, au bord, la profondeur plongeait jusqu’à 6 mètres. Sur d’autres, elle dépassait même la longueur des grandes cannes limitant le champ d’exploitation possible.
Trois questions à Stéphane Pottelet
Comment avez-vous préparé ce championnat ?
Notre collecte de renseignements a commencé dès l’annonce du lieu du championnat. Je me suis rendu sur le parcours des mois avant en compagnie de Paul-Louis Lafont, pour repérer les lieux en participant à un concours. Alexandre Caudin en a fait de même, accompagné de Jean Desqué à un autre moment. La richesse du parcours ne faisait aucun doute et nous savions qu’au prix d’une préparation méticuleuse, nous avions toutes nos chances sur ces pêches rapides en terre ibérique… Nous n’avons rien laissé au hasard et avons vécu une semaine de préparation aussi exaltante que prenante physiquement. J’en profite pour remercier Patrice Fasquel et son épouse pour la parfaite intendance.
Concernant le matériel et les amorces et appâts, que fallait-il prévoir ?
Nous ne savons jamais à l’avance dans quel secteur nous allons échoir, il fallait donc prévoir la pêche rapide des petits poissons, pour laquelle j’avais préparé quatorze cannes télescopiques de longueurs différentes, une pêche plus grossière sur le fond avec des montages parfois très lourds (de 2 à 12 g) dans des fonds de 4 à 8 mètres, qui exigeaient de nombreux kits élastiqués, et nous avions aussi prévu des cannes bolognaises coulissantes, car sur certains postes, à 6 mètres, la profondeur dépassait celle de la canne. Nous avons utilisé un mélange composé d’une amorce Gros Gardons et rivière additionnée d’une terre grasse. En matière d’appâts, du maïs et du blé, des asticots morts, des vers de terre. Nous n’avions prévu, à l’image des Serbes et des Anglais, qu’une poignée de fouillis pour les secteurs de Mequinenza où les poissons étaient les plus petits.
Comment expliques-tu le résultat de la 2e manche ?
Je ne m’explique pas cette déconvenue, car nous n’avons pas changé notre stratégie qui a été payante le premier jour. D’un poste à l’autre, la pêche et le rendement pouvaient être tout autres, hélas, et des zones se sont montrées beaucoup plus propices. Je peux expliquer ma 7e place. En effet, j’ai peiné à l’ablette au démarrage. Le mouillage de mon amorce n’était pas tout à fait adapté et mon voisin, qui ne rappelait pas, ne m’a pas permis de réunir la masse de poissons. Après une heure, j’avais 65 ablettes de retard sur la fusée espagnole, mon ami Esteve Martinez, et les 30 minutes suivantes je n’ai pas réussi à le remonter, malgré un rythme qui montait en puissance sur cette pêche de surface. Sur le fond, j’ai voulu être agressif, augmenter mon rythme d’amorçage et aussi grossir mon esche (maïs) pour sélectionner les gros, mais les touches sont restées irrégulières. Je finis avec 18,66 kg, mais 24 kg étaient nécessaires pour finir seulement second et pour espérer briguer une place sur le podium en individuel. La pêche de compétition, à ce niveau, ne permet aucune approximation. Sur le secteur E, ma stratégie n’a pas été la plus pertinente, je ne l’ai constaté que bien trop tard.
Du poisson pour tout le monde !
Les prises étaient majoritairement composées de brèmes bordelières (de 20 à 400 g), de grosses et très nombreuses ablettes, quelques gardons et carassins, mais aussi de carpes, sandres et silures pouvant jouer les trouble-fêtes. Concernant ces derniers, la Fédération internationale avait décidé de borner les prises à 5 kg. C’est-à-dire que si un pêcheur venait à capturer un poisson de 5 kg ou plus, il n’en compterait toujours que pour 5. En dessous, il était pesé comme une autre espèce. Le motif de cette règle n’a pas été donné, mais en tant que spectateur, j’ai pu en conclure que conserver un poisson de plus de 5 kg en bourriche pouvait lui être fatal et que matériellement, la fédération espagnole n’avait pas les moyens de peser et relâcher immédiatement ce type de prise. En tout cas, il y aurait du poisson en quantité pour tout le monde. Une pêche physique et exigeante sous un soleil de plomb, que le vent presque omniprésent permettait de mieux supporter, attendait les champions issus de 23 pays. Les Serbes, tenants du titre, sont donnés favoris, mais nos représentants eux aussi, au même titre que les Anglais ou encore les Croates très à l’aise sur ces pêches rapides. Les Hongrois, qui ont tout raflé cette saison, semblaient moins à l’aise.
Le choix des techniques
Cannes télescopiques, mi-distance, grandes cannes, sur le fond, en surface, les compétiteurs ont évidemment tout prévu et les stratégies sont définies par zone. Partout, la pêche à courte distance est la plus rentable, à la télescopique, entre 3 et 4,50 mètres pour les ablettes et les poissons moyens, avec un kit élastiqué sur le fond pour les plus gros. Un second coup est prévu plus loin du bord. C’est la profondeur et surtout son relief qui définit la distance. Il faut un fond correct dans tous les sens du terme pour espérer prendre joli et en quantité. En effet, on va beaucoup plus vite dans 3-4 mètres de fond que dans 6 ou davantage. Après un amorçage copieux où, pour une fois, le sacro-saint fouillis de vers de vase est quasiment absent au profit des asticots, vers coupés, casters, mais aussi maïs et blé pour espérer transpercer l’énorme couche d’ablettes, c’est un rappel incessant qu’il faut pratiquer pour espérer attirer et tenir en haleine les fameux « gros yeux » (jargon pour la brème bordelière). Précision, rythme, alternance des coups, réactivité du pêcheur, mais aussi des accompagnateurs, influent sur la réussite.
Esteve Martinez Surroca, le nouveau champion du monde
Comment t’es-tu préparé pour ce championnat ?
Nous savions que le parcours était vraiment très poissonneux. Je me suis entraîné sans relâche près de chez moi sur des petits poissons pour optimiser ma gestuelle et la vitesse de décrochage. Avantage d’être à domicile, jusqu’à quelques semaines avant le championnat et la fermeture officielle des secteurs, je me suis rendu sur place très souvent également.
Quels amorces et appâts as-tu privilégiés ?
J’ai utilisé un mélange d’amorce brune « Gros Gardons » et de « rivière » additionnée de chapelure, le tout alourdi de terre de rivière pour obtenir un ensemble collant me permettant d’introduire beaucoup d’esches et d’atteindre le fond facilement. Je n’ai utilisé que des asticots morts, des vers coupés et aussi du maïs haché! À la différence de beaucoup, je n’ai jamais rappelé à l’amorce pour les brèmes, mais uniquement à l’asticot pur ou à l’asticot collé. L’amorce à ablette était teintée en rouge pour obtenir un nuage tenace.
Quels étaient tes montages de ligne et la taille d’élastique ?
Pour la pêche de fond, tous les corps de ligne étaient confectionnés en 18/100e pour aller vite et éviter les emmêlements. Dans le secteur où j’ai pêché les deux jours, les flotteurs de 3 et 4 g (Sensas Lake Monster) étaient équilibrés grâce à une plombée massive, au plus près du bas de ligne de 15 cm, fini par des hameçons de taille 14 et 16 (Milo Série A). Concernant les élastiques, je n’ai utilisé que des élastiques pleins de 2,2 mm (Milo Misol), toujours dans l’optique d’aller vite, mais aussi de limiter les décrochages.
Un championnat à domicile, c’est beaucoup de pression, était-ce vraiment un avantage ?
Malgré notre connaissance des lieux, nous ne nous attendions pas à des pêches de vitesse à si courte distance sur toutes les zones. Je ne peux pas affirmer que j’aurais aussi bien réussi dans d’autres secteurs, mais j’étais hyperprêt pour les deux de Mequinenza et cette pêche mécanique de petits poissons ! Sur les autres, c’était vraiment un autre monde pour moi. Les profondeurs sont très irrégulières et je m’attendais plutôt à une pêche à la grande canne. J’ai dû m’adapter moi aussi et sortir toute mon expérience.
Serbes et Français au coude à coude
À l’issue de la première manche, la richesse piscicole n’est pas démentie, 38 kg au compteur pour le Hollandais Niels Eestermans, et les 20-25 kg sont légion. Si les poids sont incroyables, ils sont aussi très serrés tant le niveau des meilleurs est proche! À ce jeu, les Français tirent leur épingle du jeu et virent en tête avec 20 points (1-2-3-6- 8), à égalité avec les champions serbes sortants (2-3-4-4-7) ! La Croatie complète le trio. Anglais, Italiens et Slovaques sont plus loin au décompte intermédiaire. Une première manche pleine d’espoir pour espérer redorer un tableau bien sombre pour les équipes de France cette saison. En effet, malgré les jeunes qui ont éclaboussé de leur classe la scène internationale eux aussi en péninsule ibérique, les Bleu(e)s n’ont pas brillé en 2023 et les supporters ont soif de médailles également.
221 à l'heure !
À la veille de mon arrivée en Espagne pour couvrir cet événement, je ne pensais pas que le vainqueur en individuel puisse remporter le titre avec 2 points, synonyme de deux victoires sur des secteurs de 23 pêcheurs. Mais lorsque le hasard du tirage au sort replace la star locale, l’Espagnol Esteve Martinez Surroca, dans le même secteur que la veille, c’était bien possible, malgré la présence de Stéphane Pottelet, Walter Tamas, Niels Eestermans ou encore le Serbe Markovic ! 221 ablettes les 60 premières minutes pour « Speedy Martinez », puis une cadence de fou sur le fond pour finir avec une bourriche de 30 kg ! 6 kg devant le second après la démonstration de la veille, ce titre aura été amplement mérité. Ce qu’Esteve ne dit pas par modestie, c’est qu’il est reconnu comme l’un des plus rapides d’Espagne et même du circuit international. Il a participé à de nombreux championnats et même sur des pêches atypiques, il sait tirer son épingle du jeu. Ce titre récompense un grand champion dont le talent, la gentillesse et l’accessibilité ont été salués par tous ses pairs lors de la cérémonie !
La France piétine
Pour le titre par équipe, rien n’était joué, car une ou plusieurs contre-performances pouvaient « plomber » l’équipe tout entière. Emmanuel Vilain, magistral le samedi, souffre. Maxime et Alexandre, aujourd’hui avec Stéphane Pottelet, piliers d’une équipe de France remastérisée depuis quelques années, sont à la peine eux aussi. Arnaud Dupin, quant à lui, boucle un très beau championnat et finira par ailleurs meilleur français au classement individuel (7e ), en faisant une brillante démonstration de pêche à la bolognaise coulissante en raison d’un fond abyssal dans sa zone. Stéphane Pottelet, seul vainqueur de manche et en lice pour un podium, arrive à limiter la casse (7e ), mais au final, ce sont 50 points qui finissent au compteur des Bleus (4-7-11-12-16). Beaucoup trop loin des 25 points de l’équipe Serbe (1-1-5-7-11), régulière et stoïque en pratiquant à sa main. Sans renouveler l’exploit de la veille, les coéquipiers du truculent Goran Radovic s’assurent un nouveau titre, fait rare deux années de suite, mais une constance qui couronne leur approche très professionnelle.
Le come-back des Anglais
La perf’ du jour est à mettre au compte des Anglais, emmenés par un super William Raison, capitaine d’une équipe où son expérience et celle d’Ashby et Hemingray, associée à la fougue de Matt Godfrey et James Dent, font des étincelles. 16 points, un exploit, additionnés aux 38 de la veille, leur permettent de monter sur la 2e marche et de ravir l’argent. Leur équipe, tant canne en main qu’à l’arrière, est stable depuis quelques années, à l’image des Italiens, Hongrois, Serbes, Tchèques et autres nations de tête qui ont professionnalisé leur accompagnement et leur manière de communiquer, en le faisant vite et bien. Je suis maintenant les championnats depuis des années et cette stabilité est palpable dans la régularité des résultats. Les Français soufflent le bronze à l’Italie, d’un tout petit point seulement. Une médaille qui fait certes du bien en cette période de vaches maigres, car l’équipe de France renoue avec le podium dans ce qui fut un championnat de très haut vol, exigeant physiquement et mentalement. Mais mon cœur de supporter ne peut s’empêcher d’être déçu, car l’or était tout proche. Les Bleus ont une année pour se préparer au championnat du monde qui se déroulera en 2024… à Béthune, dans les Hauts-de-France, où son public sera là pour les encourager !
Trop de championnats tue les championnats
Malgré la présence de l’Ukraine qui a longuement été ovationnée durant la cérémonie de clôture, mais aussi des globe-trotters néo-zélandais, ce championnat n’aura accueilli que 23 nations. C’est l’une des plus faibles participations de ces dernières années et elle est marquée par l’absence de grandes nations de la pêche au coup comme la Pologne, la Lituanie, etc. Le calendrier international compte tellement d’épreuves que les nations les moins aisées doivent bien faire des choix au regard du coût de tels déplacements. Il est temps que la fédération internationale se penche sur le sujet.