Pendant très longtemps (au moins depuis les années 1820) les « farines » ont été les seuls appâts possibles et disponibles pour les pêcheurs à la ligne afin d’attirer les poissons. Une « farine » est une poudre plus ou moins fine obtenue en broyant et en moulant des céréales ou d’autres produits agricoles alimentaires solides, souvent des graines. Les farines ne sont pas vraiment citées en tant que telles dans les traités de pêche du XIX° siècle, mais plutôt comme des amorces d’appoint ou du moins des composants de certains appâts.
Par exemple, en 1879 Jules Carpentier dans La pêche raisonnée et perfectionnée du pêcheur fabricateur écrit qu’ « on appelle « pates composées » certaines substances broyées et mêlées dans des proportions convenables, que les poissons recherchent par goût, guidés par la vue et l’odorat ». On trouve ainsi la pâte de pain de mie qu’on mélange avec du lait et du miel, la pâte de fromage (qui est en fait du fromage râpé avec une adjonction de musc). Si on remonte plus loin dans le temps, en 1829, dans la Pisciceptologie ou l’art de la pêche aux lignes volantes et flottantes, on conseille le froment qu’on doit faire bouillir dans du lait jusqu’à ce que le grain soit attendri avec du miel et du safran. On en n’est donc pas encore au stade des farines.
Dans les années 1900, avec la démocratisation de la pêche à la ligne et la massification populaire de sa pratique, on ne trouve pas encore les farines en tant que telles : en 1901 dans une réédition du célèbre Guide pratique du pêcheur de A.B. Morin, on peut lire des conseils pour pêcher la carpe en confectionnant une sorte de pâte à base de chènevis, de saindoux, de miel, de musc, de pain rassis. Toujours dans ce même ouvrage on trouve une autre recette possible : « Broyez dans un mortier du fromage de gruyère ou de Hollande avec du vin et de l’huile d’olive, jusqu’à consistance d’une pâte, et ajouter quelques gouttes d’eau de vie ». Si on a bien la notion de broyage (qui se rapproche de la fabrication de farines) on ne trouve toujours pas les farines en tant que telles. Il faut attendre l’après Deuxième Guerre mondiale et le développement des concours de pêche au coup dans les années 1970/1980 pour voir apparaître les farines dédiées à la pêche.
Sur les traces de mon papi
Multi-pêcheur plutôt que spécialisé dans un style de pêche ou de poisson particulier, mon cher papi était tout de même un bon pêcheur au coup. Tous les poissons blancs y passaient : ablettes, gardons, rotengles, tanches et bien-sûr carpes… C’est en l’accompagnant toute mon enfance au bord de l’eau, en m’imprégnant des techniques, de ses gestes, que j’ai développé aujourd’hui de bonnes connaissances (sans être sûr de tout savoir). Je me souviens : les journées de pêche étaient réglées comme du papier à musique. Amorçage fort à la farine le matin pour la blanchaille histoire de garnir la bourriche et après-midi sieste avec une ou deux canne à la pelote eschée d’un ou deux grains de maïs pour y piéger une carpe… Rien d’extravagant mais de l’efficace et de l’éprouvé ! J’use et j’abuse des farines ou de matières solubles pour démarrer mes spots de pêche et les faire durer.
Le béaba : les apports de la pêche au coup
Ce sont les pêcheurs au coup qui ont incontestablement été parmi les principaux acteurs sur les innovations dans le domaine des farines. Potentiellement, on peut faire de la farine à partir de la majorité des aliments qui existent. Les farines à disposition ont de nombreuses qualités tant du point de vue mécanique que nutritionnel. Elles peuvent apporter des solutions à des « problèmes » que nous rencontrons souvent au bord de l’eau. Les amorces composées de farines sont conçues en fonction du type de pêche qu’on souhaite pratiquer. En effet, on peut obtenir des effets mécaniques très différents en fonction du choix de farines qu’on incorpore dans son amorce.
On peut avoir des effets collants ou des effets dispersants par exemple. On peut aussi penser à la pêche en rivière où l’amorce doit tenir dans le courant. On peut également évoquer l’effet nuage qu’on peut rechercher à la pêche au zig par exemple. Dans la pêche au coup, une amorce à quiver est très souvent fortement marquée par une forte granulométrie. Les farines privilégiées pour la pêche à l’anglaise sont fines car destinées à être propulsées assez loin à la fronde avec des graines ou des asticots. On peut également augmenter le pouvoir collant des farines, en rajoutant certaines terres comme l’argile ou la terre de taupinière (bien tamisée). Cela augmente aussi la solidité et le pouvoir agglomérant des boules et donc la possibilité de lancer plus loin sans qu’elles éclatent. On peut aussi rajouter des éléments tels que des graines entières, des asticots, des vers…
Les différentes farines
Les farines dites neutres sont celles qui sont la base de nombreux mélanges. En général elles permettent de mettre en place un amorçage de fond apprécié des poissons fouilleurs, dont la carpe. La chapelure blanche par exemple est obtenue à partir de la mie de pain. Elle a tendance à beaucoup gonfler au moment du mouillage, il faut donc humidifier bien avant et laisser reposer (une nuit en général). La chapelure blonde est le résultat du broyage de la mie et de la croute du pain. La chapelure rousse est obtenue en broyant uniquement la croute de pain. La chapelure blonde et la chapelure rousse sont souvent utilisées dans les amorces de surface (très efficace sur les ablettes). Un autre élément possible réside dans les biscottes même si elles sont moins intéressantes d’un point de vue nutritif. Même si on le classe parfois dans les collants, le baby corn est plutôt un élément « neutre ». Ce produit est issu du pressage des grains de maïs et se présente soit sous la forme de farine fine ou de petits granulés. Les farines dites « collantes » sont aussi très nombreuses. Le PV1 (protéine végétale de première qualité) est le fameux tourteau qui a longtemps été assez confidentiel et l’apanage des compétiteurs. C’est à partir de la fin des années 1980 que les détaillants français l’ont proposé à la vente. Le PV1 est fabriqué à partir de céréales mélangées à de la mélasse (sirop résiduel du sucre). C’est un produit complet très utilisé dans les amorces de fond. On peut aussi obtenir une farine collante à partir de nombreux biscuits. Ils sont riches, notamment en graisses. Il existe encore bien d’autres farines utilisables : la gaude de maïs, le tourteau de maïs….
Il existe enfin les farines dites « dispersantes », c’est-à-dire qu’elles vont faire travailler les différents composants, notamment lors de l’immersion dans l’eau. Là aussi, elles sont nombreuses et variées. On peut citer la farine d’arachide (terme qui regroupe en fait différents types de farines : tourteau, fine fleur, farine grillée…).
Le coprah est une farine de couleur marron foncé qui provient de la partie blanche et sèche de la noix de coco que l'on presse pour en extraire l'huile. Le coprah est une farine très employée dans les amorces pour ses vertus dispersantes. Léger et peu nourrissant, il est très utiles aussi bien dans les amorces de surface que de fond. Les farines de blé et de maïs sont des grands classiques très utilisées dans la plupart des cas. On peut également signaler la farine de riz, farine ancienne, de couleur blanche qui provoque un effet visuel tout à fait bienvenu. Enfin tous les poissons sont sensibles à la graine de chènevis. Dans l'amorce, il s'utilise moulu ou grillé. Le chènevis moulu est généralement cuit ou ébouillanté, ce qui lui donne encore plus de saveur. Le chènevis grillé est destiné à foncer les amorces. Plus pauvre en huile, il dégage une forte odeur. On l'utilise surtout en étangs et en période hivernale lorsque les eaux sont froides.
Une recette simple utilisée par Jef
- Deux parts de farine de base type 4x4 (ou les mélanges tout prêt pour la pêche au coup)
- Une part de farine de tiger
- Une demi-part de bird food (type candy nectar)
- Une part de farine de pain (que je concasse avec les restes domestiques que je peux avoir au moment de la pêche)
- Une demi-part d’argile ou de terre de taupinière
- Mouiller le tout avec de l’eau et un additif liquide de votre choix (j’affectionne beaucoup le foie liquide ou les soak au monster crab)
Quelle(s) utilisation(s) à quelle saison ?
Aussi bien en barrage qu’en petite rivière, je fais très souvent face à des poissons qui naviguent beaucoup et qui ne passent pas beaucoup de temps par zone. Ces poissons sont toujours en quête de nourriture, et les spots sont innombrables : bordure, profondeur, bas de pente, marche, éboulis rocheux, arbres immergés etc...
C’est pour ces raisons et ces constats simples que j’utilise très souvent un mélange à base de farines et d’éléments plus «solides» telles que le babycorn, le pellet chènevis ou le pellet noix tigrée. Je suis fan de particules en tous genres (mélanges à pigeons, maïs entier et concassé, noix tigrées). Le but est de potentiellement ralentir les carpes et de les maintenir le plus longtemps possible sur les zones piégées. La vraie contrainte de ce genre d’approche se pose sur les lieux de pêche où on trouve une grande densité d’ « indésirables » aussi nommés « nuisibles ». Pour des sessions d’au moins 24 heures, je n’hésite pas à envoyer entre 500 grammes et 2 kilos de bouillettes et de tiger de manières large et éparse suivant l’activité des nuisibles. Puis je mets en place mon amorçage à base de farines mais j’assure mes arrières. Il restera quelques denrées lorsque les carpes passeront à table. L’idée est de marquer de suite la zone de pêche, le « hot » spot sera marqué par mes mixtures. Même dissous, les boules d’amorce continueront de donner « du goût » au spot, et continueront d’attirer les poissons. Je privilégie quand même l’utilisation des farines l’hiver et le printemps et je les évite l’été au moment des plus fortes chaleurs.
Amorçage à la farine et sélection du poisson
Cette stratégie d’amorçage n’a pas vocation à sélectionner une taille particulière de poisson, mais plutôt à donner un coup de starter à votre pêche (dans la même idée qu’un article déjà paru dans un Média carpe précédent). Vous êtes susceptible d’attirer tout type et toute taille de poisson. Il faut se rendre compte que dans beaucoup de cas en petites rivières et en lacs de barrages, les poissons se déplacent par groupes de plusieurs individus et peuvent emprunter le même chemin (pallier entre deux pentes abruptes par exemple). Et sur des pêches rapides, chaque touche est bonne à prendre ! Ce type d’amorçage peut être très bien appliqué d’ailleurs sur n’importe quel type d’eau lorsque l’on en comprend tous ses avantages. Concernant le choix de l’esche, j’affectionne particulièrement une noix tigrée équilibrée d’un maïs flottant ou une wafter. Mes choix se portent généralement sur un appât équilibré ou décollé du fond, peu importe le substrat (sable, pente, éboulis de pierre, glaise). L’appât se présentera toujours parfaitement au-dessus de la mixture, l’hameçon bien dégagé, prêt à se piquer sur la première carpe qui voudra bien s’alimenter.
Quelques références
Cet article s’appuie entre autres sur ces deux références que vous pouvez consulter pour approfondir le sujet :
- https://www.facebook.com/notes/1028544140940891 : une page internet « Tout sur les farines » hébergée sur Facebook et écrite par Team Osmose Korp R&D et qui fait une très bonne synthèse sur les farines et qui est bien écrite, claire et très complète.
- Le livre de Patrick Guillote, Guide des amorces, 2009, éditions Artemis, 95 pages : un livre très complet qui passe en revue la majorité des possibilités offertes aux pêcheurs.
BONUS : Pas à Pas
Bien préparer ses boules d’amorce : en quelques étapes, voici une façon de faire pour parvenir à bien confectionner des boules d’amorce.
Etape 1 : On commence par verser dans un grand sceau les différents composants de l’amorce sèche. On brasse énergiquement le tout de façon à bien tout mélanger
Etape 2 : On mouille ensuite le tout au moins une paire d’heures avant la session (de façon que toutes les farines gonflent bien et travaillent bien). On évalue la quantité d’eau en fonction du volume total des farines. Avec le temps vous arriverez à bien doser la quantité d’eau. Il faut avoir une amorce humide mais pas trop liquide (sauf si on recherche une effet « soupe »). On peut rajouter les additifs liquide à ce moment-là (foie liquide, soak, huiles…)
Etape 3 : après ce premier mouillage, on passe l’amorce dans un tamis (maille fine pour les étangs et grosse maille pour la rivière) de façon à éliminer tous les grumeaux et à aérer le mélange.
Etape 4 : On laisse reposer l’amorce de façon qu’elle gonfle et on peut humidifier de nouveau à l’aide d’une éponge ou d’un spray.
Etape 5 : on peut introduire des esches et des additifs solides (pellets, bouillettes, graines…).
Etape 6 : si votre amorce n’est pas assez collante, vous pouvez alourdir et ajuster avec de la terre de taupinière ou de l’argile (au maximum 20 à 30 %).
Etape 7 : Il ne vous reste plus qu’à confectionner des boules d’amorce de la taille souhaitée (de la taille d’une belle orange par exemple). Pour parfaitement les faire adhérer, vous pouvez les serrer au torchon.