Le niveau du Rhône qui baisse après un épisode de crue la semaine passée, un vent du nord qui s’engouffre dans la vallée, une température ressentie entre 0 et 5 degrés… Il y a des jours où l’on se dit que le métier de guide de pêche n’est pas une sinécure. Mais il en faut plus pour décourager un professionnel tel que Jérôme Chapus, que je retrouve, au lever du jour, à la mise à l’eau de Tournon-sur-Rhône, une charmante bourgade ardéchoise dont le château médiéval domine fièrement un terroir placé sous l’appellation saint-joseph. Mais l’heure n’est pas à la dégustation. Jérôme met les gaz de son embarcation de 140 chevaux et nous voilà partis traquer le sandre sur le fleuve qui forme une grande boucle encaissée.
Jérôme Chapus en quelques lignes
Jérôme Chapus est né en 1980. Guide de pêche professionnel depuis 2006, il officie principalement sur le Rhône, en aval de Lyon. C’est un spécialiste reconnu du silure et du sandre, et sa compétence n’a d’égale que sa gentillesse.
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Premiers contacts
Le Rhône roule des eaux teintées, à peine assagies, et charrie de nombreux débris. Côté navigation, la prudence est de mise. Le jour se lève timidement et le contre-jour exalte les contrastes marqués de reflets métalliques. « Le niveau a baissé d’un bon mètre en quelques jours. La décrue est lente et progressive, ce qui est nettement préférable à des effets “chasse d’eau” auxquels nous assistons de plus en plus. La semaine passée, au pic de la crue, nous avons fait de belles pêches de sandres principalement sur des zones refuges, en bordure, dans parfois deux mètres d’eau et même moins. Mais depuis, les cartes ont été redistribuées et il a fallu reprendre cette quête inlassable qui caractérise si bien la pêche du sandre… », explique calmement notre guide, un œil sur l’eau et l’autre sur l’écran de son sondeur, dans l’attente de repérer des échos prometteurs.
Dans la courbe que décrit une crue, c’est le début de la baisse qu’il avoue préférer, lorsque l’eau commence à s’éclaircir. Il s’ancre, à l’aide de son moteur électrique, à la sortie de la ville, en rive droite, à une vingtaine de mètres du bord. Là, en aval d’un quai et d’un alignement de bittes d’amarrage, se forme un grand amorti qui accuse environ quatre mètres de profondeur. Le poisson fourrage est bien présent, plus ou moins concentré à mi-hauteur, lorsque soudain un arc de cercle vert posé sur le fond apparaît. D’après notre guide, c’est un silure de taille moyenne qu’il préfère laisser tranquille autant que faire se peut, d’autant qu’avec une tresse en 12 centièmes et un fluoro en 30 centièmes, l’affaire pourrait s’éterniser, a fortiori avec une canne médium light. Le courant est soutenu. Plombé en 17 grammes, Jérôme Chapus commence sa prospection, en verticale, à l’aide d’un shad vert chartreuse de 5 pouces. Il oriente sa dérive afin de décrire de larges cercles concentriques, de l’extérieur vers l’intérieur du poste présumé, à l’épicentre de l’amorti, tantôt en remontant le courant, tantôt en le descendant.
À voir son insistance, on se demande s’il suit son intuition ou s’il s’appuie sur des informations tangibles. « Les sandres ne sont clairement plus sur les bordures, mais ils n’ont pas rejoint les cassures du lit du fleuve car le courant y est encore trop fort. Ils sont donc en station sur des zones intermédiaires, de confort si je puis dire, là où les concentrations de poisson fourrage sont les plus importantes. Ces grandes zones d’amortis sont de vrais garde-manger. Les poissons se sont beaucoup alimentés la semaine passée et peut-être sont-ils déjà moins agressifs car repus. Mais je pressens qu’ils sont là, tapis sur le fond, dans la zone d’ombre du sondeur. C’est un peu la guerre des nerfs, on verra qui craquera le premier. J’insiste sur ce secteur tant que le jour n’est pas complètement levé », ajoute Jérôme, dont on mesure la concentration. Changements de coloris, de taille de leurres, de vibrations, shad et finess, bientôt c’est toute sa boîte qui se retrouve sur le pont du bateau. Modification de la vitesse de la dérive, pêche en verticale pure alternée avec des passages sur le poste présumé en diagonal… En récompense de cette première heure de pêche, deux brochetons et un sandrillon sont venus jouer les trouble-fêtes. Mais Jérôme Chapus n’en démord pas et ne perd aucunement confiance en ce début de matinée difficile : « Nous repasserons plus tard dans la journée », lâche-t-il en remettant les gaz.
Satanés sandres
On sait combien les mœurs de ce percidé peuvent être aussi énigmatiques qu’imprévisibles. Pour notre guide, qui est sur l’eau quasiment tous les jours, il est certes plus facile de prendre ses repères, de décoder son comportement, autrement dit de le marquer à la culotte. En cette période de transition, où le fleuve se remet progressivement en ordre, notre guide sait combien ce carnassier peut passer d’une humeur agressive à un état léthargique. Même sur des cycles courts, il peut être aux abonnés absents. De nombreux éléments extérieurs tels que la température de l’air, la pression atmosphérique, voire la luminosité influent sur son comportement. Mais c’est encore l’évolution plus ou moins brusque du niveau du fleuve et son degré de turbidité qui semblent être les plus déterminants au regard de l’expérience de Jérôme. La pêche du sandre se transforme alors en partie de cache-cache, ce qui, soit dit en passant, en fait tout l’intérêt.
Avec méthode et rigueur, notre guide va s’employer à visiter de nombreux postes afin d’éliminer progressivement le champ des possibles : bras de dérivation du Rhône, culs d’îles là où le courant se casse, buissons immergés accrochés à des pentes abruptes, zones d’amortis profonds qui laissent deviner des structures, etc. Des postes types, certes prometteurs, mais qui, en fonction de la descente du niveau d’eau, ne seront pas tous efficients au même moment. Au fur et à mesure de la prospection, Jérôme coche mentalement sa « grille des possibles ». L’une des premières qualités de tout pêcheur de sandres qui se respecte n’est-elle pas sa capacité d’analyse alliée à une bonne dose d’opiniâtreté ? Après deux heures de pêche, Jérôme Chapus en a maintenant l’intime conviction, les beaux sandres sont bien stationnés dans les quatre mètres de profondeur sur des secteurs au courant modéré, voire en limite d’absence de courant. La température de l’eau, me fait-il remarquer, y est de un à deux degrés supérieurs. Pour valider son raisonnement, Jérôme opte pour une pêche en linéaire lente, « à gratter », afin d’augmenter son rayon d’action. Lancers trois quarts amont, à 20-25 mètres du bateau, parfois dans le bouillon qui porte son leurre lesté en 20 g jusqu’au fond. C’est tout un art que de ne pas freiner la descente du leurre tout en gardant le contrôle de la bannière, au risque de perdre de précieux mètres par rapport au point d’impact. Pour ce faire, Jérôme a un « truc » : lorsque son leurre touche l’eau, il ferre dans le vide afin de libérer davantage de tresse et, bras tendu en hauteur, il rend ensuite progressivement la main, doigt sur la bobine.
Retour gagnant
Nous sommes à une centaine de mètres en aval du premier poste prospecté le matin. Le Rhône s’est élargi et son courant vient lécher la rive droite, concave et recouverte de buissons. Sur un « toc » assez affirmé, Jérôme ferre énergiquement. Sa canne, de puissance ML, se courbe tout en attestant d’une bonne réserve de puissance. Passé les premières secondes de contact, notre guide affiche un beau sourire : le client est sérieux, comme le confirment ses coups de tête. Cinq minutes plus tard, c’est un joli sandre de 80 cm qui est dans l’épuisette. Il est 15h30 et le soleil nous gratifie de ses trop rares rayons. Parfait pour la séance photo et une remise à l’eau illico !
En suivant le dessin de la berge tout en veillant à rester sur la bonne ligne grâce au sondeur, Jérôme Chapus profite d’une bonne demi-heure d’activité et enchaîne les prises, toutes du même calibre. Ce qui est le plus surprenant, c’est son calme olympien (auquel il ne déroge pas), là où d’autres exulteraient. Il laisse glisser son bateau au fil du courant et le positionne à nouveau sur le poste, en aval des quais, dont il avait précieusement conservé le point GPS. Quelques passages en linéaires, rien n’est détecté. Reprise de la dérive en verticale avec un shad chartreuse en 5 pouces. Et pan ! C’est la touche, violente cette fois, mais le sandre est plus petit. Tout cela est bon signe. Les poissons n’étaient manifestement pas d’humeur matinale.
Après une quinzaine de minutes sans touche, notre guide amorce une nouvelle dérive en optant, cette fois, pour un finess blanc nacré en 6 pouces. Une animation minimaliste et un long temps de suspension, et notre homme envoie un nouveau ferrage dont il a le secret. Le poisson fonce sous le bateau et tente de regagner le large. Jérôme Chapus plonge sa canne dans l’eau et se saisit de sa large épuisette. Le piège s’est refermé sur un 90 cm. Sa première intuition était bien la bonne, encore fallait-il repasser au bon moment ! Avant de reprendre les hostilités, notre guide, qui sait recevoir, ouvre une bouteille de saint-joseph et nous trinquons à ce scénario de décrue qui connaît un heureux dénouement. Santé !
Côté équipement et matériel
Bateau Marcraft 535
Moteur Suzuki 140 CV
Moteur électrique avant Ulterra 80 lbs
■ Combo spinning pour la pêche en verticale et en linéaire
Canne Sustain 190 cm ML (7-21 g), moulinet Shimano Sustain 2 500
■ Leurres souples
Shads et finess entre 4 et 6 pouces
■ Sponsors Rapala Shimano, VMC Storm