J'ai commencé la pêche des carnassiers il y a plus d’une trentaine d’années. Je pratiquais du bord comme la grande majorité des pêcheurs. Peu d’embarcations étaient présentes sur l’eau et celles-ci se limitaient souvent à une barque en bois propulsée par deux bonnes rames. Leur rayon d’action était limité. La plupart de leurs propriétaires se contentaient de s’éloigner du bord et de poser deux ou trois vifs autour du bateau, tout en se préparant à une longue et laborieuse attente, souvent peu productive. La pêche à pied était nettement plus active, plus efficace aussi. Il existait deux grandes écoles, les adeptes du mort manié et ceux de la cuillère tournante.
La berge d'en face
Depuis une vingtaine d’années, la pêche aux leurres a acquis ses lettres de noblesse. Pour ma part, je pratiquais toujours à pied, trouvant un plaisir certain à découvrir de nouveaux postes, voire à créer un accès à un site convoité. Je crapahutais beaucoup, en toutes saisons, trouvant mes informations sur les seuls médias disponibles à l’époque : les cartes d’état-major ! Ces pérégrinations étaient très souvent couronnées de succès, avec de beaux scores à la clé. L’idée générale était d’éviter les postes « faciles », souvent très fréquentés car proches de la voiture. Pour les mêmes raisons, j’évitais soigneusement les petits plans d’eau sur lesquels sévissaient des pêcheurs en barque souvent peu discrets, quelquefois envahissants. Tout serait allé pour le mieux si je n’avais pas contracté ce syndrome bien connu de tous les pêcheurs : celui de la berge d’en face… Insidieusement, une petite voix me disait que le poste que j’apercevais plus loin, inaccessible, devait forcément être productif. J’ai donc investi dans un premier bateau, gonflable et de taille modeste, pour me permettre d’accéder facilement aux mises à l’eau les plus improbables. Les années qui suivirent se sont vite transformées en kermesse. J’étais seul sur l’eau et je m’adressais la plupart du temps à des poissons qui n’avaient visiblement jamais vu un pêcheur ou un leurre.
Machine arrière
Les gros scores se succédaient et je découvrais un environnement diversifié qui m’a permis d’affiner ou de compléter mes techniques en fonction des conditions. Le temps a passé et maintenant des dizaines de bateaux sillonnent les lacs et rivières, sans parler des float tubes et autres canoés. L’effet de surprise est bien terminé ! J’ai donc décidé, en 2018-2019, de laisser le bateau, provisoirement, à la maison, de reprendre le sac à dos et de repartir à pied le long des berges. Et là, surprise, les scores remontent indéniablement et durablement. J’en ai tiré quelques conclusions, que je vous propose d’exposer ici. Le but n’est pas de confronter les deux approches, mais d’admettre que chacune peut intégrer des handicaps susceptibles de faire échouer une sortie de pêche.
Bateau sur l'eau
Commençons par le bateau. La contrainte la plus évidente, en premier lieu, est bien sûr son acquisition, qui représente un investissement non négligeable et impose de disposer d’un lieu où le stationner ainsi que de mises à l’eau praticables. Selon votre motorisation, vous devrez en plus passer un permis adéquat. Cette première étape franchie, à vous la liberté ! Tous les postes et toutes les techniques vous sont accessibles. C’est le gros avantage de l’embarcation. Vous pouvez passer alternativement sur tous types de postes et ainsi trouver rapidement la pêche du jour. Si les zones peu profondes se révèlent improductives, vous filez sur des fonds plus importants, si les calmes sont décevants, vous exploitez les courants, etc. Mais c’est aussi, à mon sens, le principal inconvénient du bateau. Si, au bout de vingt minutes de pêche, aucune capture n’est enregistrée, la tentation de changer de poste est grande. C’est tellement facile de se déplacer ! Et cela vous mène souvent à passer votre journée à tourner en rond en testant chaque poste à l’aide de quelques lancers peu réfléchis et souvent improductifs. Il ne faut pas oublier non plus que les poissons disposent de sens aiguisés et que les multiples déplacements d’un bateau dans leur environnement ne peuvent que les inciter à faire preuve de prudence.
La discrétion du piéton
Le pêcheur à pied n’a pas accès à la totalité du parcours ! Son problème est quasiment inverse. Il dispose de peu d’options et se doit donc de les exploiter au maximum. Il peut déjà compter sur sa capacité à approcher les postes de manière discrète, ce qui est difficile en bateau. Ensuite, les conditions de pêche étant limitées, il va prendre soin de « ratisser » le site afin d’être sûr de ne rien laisser au hasard.C’est comme cela que je procède, je dispose de trois ou quatre techniques, qui vont du plus soft au plus hard.
Il faut insister !
Je commence par la plus soft : texan en weightless, finesse manié, jig, voire drop shot. Si cela ne fonctionne pas, je passe au shad ou poisson nageur, plus ou moins volumineux et plus ou moins rapide. Pour finir, je repasse tout le poste au poisson nageur sans bavette, le lipless ou avec un bladed jig, histoire d’énerver l’éventuel maître du lieu. Il est finalement très rare d’en venir aux grosses vibrations, le poisson ayant « tapé » avant. Cela m’a d’ailleurs permis de constater que quasiment chaque poste est habité, ce qui rassure quelque peu sur la densité de poissons présents sur nos cours d’eaux.
Une question de vitesse
La différence la plus remarquable de ce retour à la pêche du bord par rapport à mes débuts, c’est qu’à l’époque, sur le brochet en particulier, l’attaque avait souvent lieu au premier passage, plus rarement au deuxième. Au-delà, il était inutile d’insister, le poisson n’étant plus prenable. À l’heure actuelle, il n’est pas rare d’enregistrer une capture au huitième ou dixième passage, sur un troisième ou quatrième leurre. Ce qui prouve que le carnassier est bien là, mais beaucoup plus sélectif sur le style ou la présentation du leurre. Bien peu de pêcheurs en bateau prennent le temps de « ratisser » proprement le poste, en variant les techniques et les approches. Ils préfèrent changer de site en espérant des résultats meilleurs… et multiplient l’erreur ! De même, le pêcheur en bateau semble incapable de pratiquer lentement. Ce don est visiblement réservé au piéton et c’est pourtant souvent lui qui peut faire basculer positivement une partie de pêche. À l’inverse, il est plus difficile de pratiquer le Power Fishing du bord et sur ce coup-là, le pêcheur en bateau est nettement favorisé, à partir du moment où il dispose de carnassiers actifs. Autre avantage indéniable de l’embarcation, la possibilité d’exploiter les bordures d’herbiers et/ou les zones encombrées. En arrivant du large, il est aisé de lancer au ras des obstacles en profitant du fait que c’est le côté le plus porteur. Ces secteurs sont souvent riches en poissons et malheureusement impêchables du bord. D’autant plus que sur des poissons éduqués, il est souvent plus rentable de prospecter du bord vers le large que l’inverse. Autant de nouvelles questions auxquelles vous répondrez par vous-mêmes, et surtout, autant de nouvelles options à envisager. Le principal étant toujours d’adapter l’approche en fonction du secteur convoité. De quoi cogiter !