Ce reportage, c’est l’histoire de la couverture du magazine de juillet dernier ! Nous avions décidé de réaliser un gros dossier sur les pêches ludiques estivales et de l’illustrer avec un beau chevesne en couverture. Mais voilà, nous n’avions pas beaucoup de photographies sur ce thème. Je décidais donc de réaliser une journée de prise de vue, mais il fallait de beaux poissons… et un bon pêcheur pour pouvoir les capturer à la demande !
Un challenge
Après un rapide échange avec Tonio Vilela Martins sur les réseaux sociaux, nous convenons d’une date pour une sortie sur la basse rivière d’Ain. C’est un pêcheur extraordinaire, que j’ai déjà eu la chance de suivre au bord de l’eau lors d’un documentaire télévisé sur la pêche de la truite. Il s’est spécialisé dans la traque des gros poissons aux appâts naturels. « Je pense que c’est la technique qui offre le plus de chances de réussite de capture des gros poissons, affirme Tonio. La pêche au leurre est bien sûr excellente pour séduire ces spécimens, mais le nombre de captures est supérieur avec les appâts naturels. » Sauf qu’en ce matin de juin, c’est un gros cyprinidé que je lui demande de capturer. Tonio ne cache pas ses inquiétudes. Les niveaux d’eau sont bas et le chevesne est encore plus dur à tromper que la truite, même avec de beaux vers de terreau !
Plus profond
Les plages de galets blancs offrent un contraste magnifique avec l’eau cristalline de l’Ain. « La rivière a bien changé au fil des ans, regrette le pêcheur. Elle s’enfonce dans son lit et laisse ces bancs de graviers et de galets sur ses bords. Un peu plus en aval, la berge comporte des murs de galets de plus de deux mètres de hauteur. Le profil du fond change chaque année et les bons postes sont modifiés par les crues hivernales. Chaque printemps, il faut prospecter méthodiquement le cours d’eau pour retrouver les truites. » Et dans cette rivière, l’espèce qui nous intéresse aujourd’hui se tient au plus profond des fosses. « Il y a bien quelques petits chevesnes sur les bordures, lance Tonio. Mais si tu veux une belle photo, il va falloir racler le fond ! »
Une gestuelle impeccable
La ligne est rapidement montée au bord de l’eau. Tonio utilise une canne Hearty Rise Trout Force Toc et un moulinet Daiwa Certate garni de Nylon bicolore Aqualine en 0,16 mm. Le bas de ligne en 0,14 mm est terminé par un hameçon n°14 VMC. Il adapte la plombée à chaque courant, qu’il connaît par cœur après des années à arpenter les rives de l’Ain à une grande fréquence annuelle ! Chaque poste est méthodiquement peigné, toutes les veines d’eau sont testées. La gestuelle du pêcheur est parfaite. Tout son corps travaille, plie et prolonge la ligne. Il vit chaque dérive. Tonio propulse régulièrement son léger montage à plus de 30 mètres de lui et suit parfaitement la dérive de l’appât. Retenant légèrement la ligne ici, passant devant si le vent monte d’un cran, la bannière est toujours parfaitement tendue et indique avec précision la moindre touche. D’ailleurs, c’est sur un arrêt bien net qu’il ferre son premier chevesne. La fine canne plie sous les coups de tête du poisson blanc, mais ce dernier finit par se rendre et glisse dans l’épuisette.
Clic clac
À genoux sur la grève, Tonio ôte avec douceur le petit hameçon planté dans la lèvre charnue et me tend avec précaution le joli poisson pour une prise de vue rapide. L’eau claire et fraîche de l’Ain coule sur les écailles argentées du chevesne. Après quelques secondes, c’est avec un coup de queue rageur que le cyprin retourne dans sa cachette en nous arrosant au passage. Son frère ou cousin en fera de même quelques minutes plus tard. Même sous ce soleil éclatant, Tonio prouve que la pêche aux appâts naturels demeure une technique redoutable pour toucher des poissons toute l’année. « Le chevesne est encore plus difficile que la truite, reprend-il. C’est un excellent entraînement lorsque les farios sont boudeuses comme ce matin ! Et puis, des poissons de cette taille te permettent de te faire la main pour le jour où tu touches une grosse truite. On n’a pas le droit à l’erreur avec eux. »
Un bien précieux
Soudain, il exulte ! Il vient de ferrer une truitelle. « C’est tellement rare ici, je suis très content, cela veut dire qu’il y a encore un peu de reproduction et qu’il ne reste pas que de poissons au-dessus de 40 cm ! » Il faut dire que les juvéniles ne sont pas fréquents dans la rivière d’Ain. Chaque année, des milliards d’alevins de toutes espèces finissent desséchés sur les fameux galets blancs en raison de lâchers intempestifs d’eau du barrage électrique en amont. Les juvéniles sont piégés sur les bordures et ne peuvent retourner dans le lit principal en raison de la baisse brutale du niveau. Une gestion que déplorent les élus fédéraux et associatifs du monde halieutique. En attendant, Tonio me présente le jeune salmonidé dans l’eau, comme une pépite fraîchement trouvée. Les yeux du pêcheur pétillent, son sourire en dit long sur sa passion. De nouvelles générations de poissons arrivent et avec elles l’espoir de belles parties de pêche à venir.