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Aspe : l'histoire d'un colonisateur

Il fait figure d’exception par son comportement, son régime alimentaire et sa capacité à étendre son territoire. L’aspe a franchi nos frontières il y a plus de cinquante ans, mais demeure méconnu des pêcheurs français. Nous vous aiderons à maîtriser ces techniques de pêche.

Il est souvent confondu avec le chevesne ou l’ablette dans ses premières années. L’aspe a colonisé nos cours d’eau de manière discrète, naturellement ou aidé par la main de l’homme, et il est désormais présent presque partout en France. C’est devenu un poisson iconique de la pêche sportive en raison de sa défense rude et violente. Il attire toujours plus d’adeptes parmi les pêcheurs aux leurres et à la mouche, dont notre journaliste, Julien Mathien, passionné par celui que l’on nomme la flèche d’argent ou le tarpon du pauvre. Nous avons décidé de lui consacrer une rubrique régulière, un rendez-vous qui vous permettra de mieux le connaître et de maîtriser ses techniques de pêche. Dans ce premier article, Julien nous rappelle les origines de ce prédateur et son développement en France.

Fiche d’identité

L’aspe fait partie de la grande famille des cyprinidés. Il évolue entre les zones à barbeaux et les zones à brèmes. Il adopte un comportement grégaire lorsqu’il est jeune, mais devient solitaire avec l’âge, ne se regroupant qu’au moment de la reproduction. Il atteint la maturité sexuelle entre trois et cinq ans, selon le sexe. Poisson rhéophile et lithophile, il évolue dans les eaux courantes et s’y reproduit, tôt en saison, dès lors que la température des eaux atteint 4 à 6 degrés, et ce, jusqu’à 12 degrés. Les géniteurs profitent des niveaux hivernaux pour parcourir jusqu’à 150 kilomètres vers l’amont des cours d’eau afin de trouver une zone propice à la ponte et à l’oxygénation des œufs. C’est ce qui limite son aire de répartition en eaux closes, car celles-ci devront forcément être connectées à des arrivées d’eau oxygénée pour garantir le succès de la ponte. C’est le seul cyprinidé essentiellement piscivore. Alevin, il consomme du zooplancton, puis des larves, devient rapidement un excellent chasseur de surface et cible les gardons comme les ablettes qui sont ses proies de prédilection. Il se montre opportuniste, consommant des insectes, crustacés, grenouilles, petits mammifères et même du pain en surface, comme les autres cyprinidés. Il peut vivre jusqu’à quinze ans et peut atteindre plus d’un mètre.

Un courant marqué, un seuil, l’aval d’une pile de pont sont autant de postes de chasse de l’aspe. Des secteurs à prospecter aux heures extrêmes de la journée.
Crédit photo : Julien Mathien

Un poisson de l'Est

L’aspe est originaire du bassin du Danube et il a étendu son territoire sur toute l’Europe centrale et du Nord-Est. En orient, il va jusqu’à l’Oural, aux frontières du Kazakhstan. Au sud, il fréquente tous les pays des Balkans jusqu’aux frontières de la Grèce, tandis qu’au nord, il est présent jusqu’à la mer Baltique, au sud de la Suède et la Finlande. Il poursuit son expansion à l’ouest, en Europe. Il est naturellement présent en Allemagne, où le Danube prend sa source, et a étendu son territoire en France dès le début des années 1970. Capable de vivre en eau douce comme en eau saumâtre, on le trouve jusque dans les mers Caspienne, Baltique, du Nord, Noire et d’Azov où il fréquente les bassins-versants jusqu’aux grands deltas comme celui du Danube, de la Volga, du Dniepr ou encore celui de la Vistule. Seules les îles britanniques et la péninsule ibérique semblent encore vierges de sa présence.

Ce bel aspe fut capturé par Matthias Lothy en juin 2006 en Alsace. Depuis, l’espèce a beaucoup agrandi son territoire !
Crédit photo : Julien Mathien

La colonisation naturelle

L’histoire débute en Allemagne, sur le Main, un affluent du Rhin connecté au Danube par un canal qui a certainement rendu possible la migration de l’espèce vers les frontières de l’Hexagone. Sa première apparition en France date de 1972, un premier sujet est capturé au filet par un pêcheur professionnel dans le delta de la Sauer, situé au nord de l’Alsace. Il faut attendre la fin des années 1980, la dépollution et le retour de concentrations d’oxygène optimales dans le Rhin pour que l’aspe y élise domicile. C’est Raymond Roehm qui renseigne la première capture sportive, à la mouche, en 1989, avec un sujet de 85 centimètres capturé en aval du barrage de Gambsheim. Par la suite, on assiste à plusieurs phases de colonisation, deux fois plus rapides par l’amont que par l’aval. Il rejoint la Moselle allemande par Coblence, où elle se jette dans le Rhin. Sa remontée est favorisée par l’augmentation du trafic commercial vers la mer du Nord et donc par la fréquence d’ouverture des ouvrages. Il atteint la Moselle française puis ses principaux affluents, la Seille et la Meurthe, à la fin des années 1990. Dans le même temps, il est signalé jusqu’à hauteur de Mulhouse sur le Rhin. Dix ans plus tard, il fait son apparition dans la Meuse française, qu’il a pu rejoindre par son delta commun avec le Rhin, situé en mer du Nord sur la côte hollandaise.

Les pêcheurs sportifs aux leurres adorent l’aspe, car son attaque est brutale et il est possible de le pêcher en surface, ce qui décuple les sensations au moment de la touche !
Crédit photo : Julien Mathien

La main de l'homme

À la fin des années 2000, c’est l’homme qui va accélérer son expansion. À la suite d’empoissonnements massifs de poissons blancs en provenance des pays baltes, dans lesquels devaient se cacher les premiers sujets, l’aspe est recensé sur la Loire aux environs de Tours, où il colonise rapidement le fleuve en amont jusqu’à Orléans et au-delà. Il met dix ans de plus pour atteindre la région angevine, puis nantaise en aval. Sur le Rhône, une colonisation naturelle aurait été possible via le canal du Rhône au Rhin, mais celui-ci est étroit et la fréquence d’ouverture des portes moins régulière que sur les grands réseaux, ralentissant ainsi sa progression. Ce canal rejoint le Doubs, à l’est de Sochaux, qui lui-même retrouve la Saône au nord de Chalon-sur-Saône. C’est sur cette rivière qu’il est signalé en premier sur le bassin… Il y a donc fort à parier que son apparition soit là aussi due à des empoissonnements ou à des lâchers de pêcheurs sportifs. Il en va de même sur le bassin de la Seine et celui de la Garonne, où l’aspe a récemment été recensé à des points distincts et parsemés sans aucune logique naturelle. C’est bien la preuve que nous ne maîtrisons plus son expansion et qu’il a désormais la voie libre pour étendre son territoire sur tout le réseau hydrographique français.

Julien, l’un des animateurs de cette nouvelle rubrique consacrée à l’aspe, capture chaque année de très beaux poissons sur la Loire. Il pêche principalement du bord ou en float tube.
Crédit photo : Julien Mathien

Sa place dans nos cours d'eau

Son expansion pourrait laisser penser qu’il prend la place des autres carnassiers dans la biomasse de nos cours d’eau, mais rien ne le prouve à ce jour, car en termes scientifiques, on dit de l’aspe qu’il est une espèce plastique, capable de s’adapter et parfaitement mobile. Nos cours d’eau sont de moins en moins peuplés de prédateurs, au profit des poissons blancs. Ce nouveau venu dispose de toute la nourriture nécessaire à son équilibre, sans gêner les carnassiers en place. Cependant, son caractère opportuniste peut tout de même avoir un impact sur les alevins de l’année, notamment lors des années froides quand les brochetons peuvent être la cible du grand cyprin, avant l’arrivée des alevins de poissons blancs. Le réchauffement climatique rend ces phénomènes plus rarissimes. Le réseau hydrographique français est donc un véritable eldorado pour la flèche d’argent, qui n’a pas fini de faire parler d’elle.

Une explosion en France

L’aspe colonise certains cours d’eau à grande vitesse, ce qui ne permet pas aux scientifiques d’avoir un suivi précis de l’espèce. La carte ci-dessous, publiée dans l’ouvrage Les Poissons d’eau douce de France1 , date de 2019 et de nombreuses captures ont depuis été signalées en dehors des secteurs mentionnant sa présence. Il vous est possible de nous indiquer vos prises (courrier@lapeche.com), mais aussi de les déclarer sur le site participatif Fish Friender (https://www.fishfriender.com). 7000 captures réalisées par 1340 pêcheurs contributeurs sont représentées par des zones de chaleur pour garantir la confidentialité des informations, ce qui peut encourager à collaborer pour améliorer la connaissance de l’espèce.

(1) MHNH-SFI. Deuxième édition. Biotope, Mèze; Muséum national d’histoire natu - relle, Paris, 704 p. (Inventaires & biodi - versité; 18): 385-387. KEITH P., POULET N. & ALLARDI J. 2020. — L’aspe, in KEITH P., POULET N., DENYS G., CHANGEUX T., FEUNTEUN É. & PERSAT H. (coord.)


Crédit photo :

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