En 2021, certains conseillers municipaux de grandes villes ont tenté d’interdire la pratique de la pêche au vif, avec un gros impact médiatique. Grenoble avait ouvert le bal, suivie par Paris, en février. Pour motiver cette proposition, certains élus évoquaient le «caractère barbare» de la pratique. Nous avions rappelé alors que ce vœu municipal était dénué de toute valeur juridique et qu’il s’agissait plus d’un coup médiatique que d’une réelle démarche d’interdiction.
Des questions
Dans d’autres villes (Bordeaux, Montpellier, Saint-Étienne) des élus avaient embrayé. Un an et demi plus tard, les choses n’ont pas véritablement changé et nous n’avons toujours pas vu passer la moindre proposition de loi visant à réformer la pêche au vif, encore moins la pêche de loisir. Mais, indéniablement, on remarque une multiplication des critiques portées à l’égard de l’utilisation des vifs. Et aujourd’hui, l’institution devant laquelle la question est soulevée (le Gouvernement) n’est plus locale mais nationale. La question au Gouvernement est une procédure très encadrée. Elle n’a pourtant pas de conséquences plus concrètes qu’un vœu municipal. En pratique, un député pose une question argumentée à un membre du Gouvernement lors d’une séance à l’Assemblée nationale. Le ministre interrogé y répond sous quelques semaines (ces questions sont répertoriées sur le site de l’Assemblée nationale). Il y a encore un an, on n’en trouvait qu’une seule sur ces sujets, datant de 2018. Elle concernait le vif mais aussi la pratique du no-kill, que la députée interrogatrice suggérait de prohiber également car, selon elle, «faisant souffrir inutilement les poissons».
Une stratégie claire
Mais désormais, on recense une dizaine de questions au Gouvernement sur ce thème. Si elles ne sont toujours pas assorties de conséquences légales, la stratégie est claire : par leur multiplication, le politique met sur le devant de la scène ces questions. Procéder ainsi, c’est préparer le terrain. Ainsi, en moins de deux ans, la pêche au vif est passée d’un statut de « pratique ancestrale un peu tombée en désuétude » à « pratique à éradiquer ». C’est d’ailleurs une sorte de paradoxe de voir des députés de tous bords réclamer l’interdiction d’une pratique qui est en fait de moins en moins pratiquée. Mais il ne faut pas être naïf : il s’agit là d’une porte d’entrée vers une réforme bien plus profonde de la pêche de loisir que la simple remise en cause du vif.
Le vif, premier combat
Créée en 2017, l’association Paz (Paris Animaux Zoopolis) se montre notamment très active s’agissant de la pêche. Elle est à l’origine de certains des vœux municipaux évoqués plus haut. Elle est également au contact des partis politiques : certains candidats à l’élection présidentielle de 2022 ont même signé ses propositions. La pêche au vif, le premier de ses combats, est celui qu’elle médiatise le plus. Mais elle évoque de nombreux autres sujets de réforme. Elle souhaite par exemple l’interdiction des rempoissonnements effectués « dans le but de pêcher ». Elle s’appuie sur l’exemple des lâchers de truites réalisés les jours précédant l’ouverture en première catégorie, pratique qui est critiquée d’ailleurs par certains pêcheurs eux-mêmes. Mais on comprend vite que la généralité des termes du discours de Paz est ô combien dangereuse. Pour les réservoirs de pêche à la mouche ou aux leurres notamment. Car si leurs motivations, dans leur gestion des populations, ne sont pas tout à fait les mêmes que celles des simples lâchers de truites pré-ouverture, les procédés sont identiques. Il s’agit bien d’introduire des poissons pour que les pêcheurs les pêchent !
Le no-kill
L’association appelle par ailleurs à une interdiction automatique de la pêche sur les secteurs où les poissons ne peuvent être prélevés pour des raisons sanitaires, ce qui revient à défendre une pratique exclusivement prédatrice et consommatrice de la pêche. En gros, un retour en arrière d’un demi-siècle ! Dans le viseur, clairement, le no-kill : pas de prélèvement, pas de pêche ! Dans une tribune publiée en 2018, le message est très clair : « Dans le cas de la pêche "no-kill", les poissons sont blessés pour le loisir de quelques-uns. Retirés brutalement de leur milieu, ils sont angoissés et souffrent de suffocation. Toute forme de pêche est potentiellement mortelle pour les poissons. Une étude internationale affirme que selon les espèces, jusqu’à parfois 90% des poissons rejetés à l’eau meurent dans les jours suivants. À cela s’ajoutent les souffrances physiques liées aux lésions provoquées par l’hameçon. » Rappelons ici les positions de nos proches voisins allemands et suisses chez lesquels le no-kill est absolument interdit. Pour eux, il n’est pas du tout envisageable de soi-disant «jouer» avec un poisson.
Carpes et carnassiers
Sur le sujet des introductions de poissons, les carpodromes, plébiscités aujourd’hui par les pêcheurs au coup, semblent être également dans le viseur des associations anti-pêche sans oublier les milliers d’étangs communaux dans lesquels black-bass, brochets, perches, etc. sont réintroduits chaque année afin de soutenir intelligemment leurs populations
Vigilants
Il convient donc d’être extrêmement attentif car il ne faut pas s’y tromper: laisser faire et faire le deuil de la pêche au vif, la laisser interdire sans rechigner, ce serait clairement faire entrer le loup dans la bergerie. Ce serait prendre aussi le risque de diviser la communauté des pêcheurs, ceux qui pratiquent ainsi ne comprenant pas le mutisme de ceux qui pourraient laisser faire. Quand une dynamique prohibitrice est amorcée, nul ne sait où elle peut s’arrêter. Après la pêche au vif, la pratique du no-kill pourrait bien être la victime suivante… et ainsi de suite. Nous devons rester très vigilants !