J’ai rencontré Sébastien Minon au bord de l’eau, il y a quelques années déjà. La discussion s’était vite orientée vers les préférences de chacun en matière de techniques et de leurres. Mais en observant ses boîtes, je me suis fait la réflexion suivante : « Encore un frapadingue ! » Exclusivement des leurres durs, une bonne partie de ceux-ci ne faisant visiblement pas partie de productions standard. Le monsieur semblant très joueur, j’ai alors posé la question : « Celui-là, c’est quoi ? » Réponse laconique : « Un Pikachu de surface ! » Et les minutes qui passent valident mon intuition : je suis tombé sur un cas !
Du lourd !
Quelques détails auraient néanmoins dû me mettre la puce à l’oreille : la canne casting, visiblement hors d’âge, d’action franchement molle mais dotée d’une magnifique poignée sculptée et un moulinet dont j’apprends qu’il a débarqué en France, avec ses premiers utilisateurs… sur les plages de Normandie ! La momie sanguinolente en guise de leurre confirme que j’ai affaire à du lourd ! Et l’histoire qui suit aussi. Ce pêcheur atypique est né en 1975, à Pessac (33). Il se met sérieusement à la pêche sur le tard, vers l’âge de quinze ans, avec un cousin, sur la Meuse. « Le Noël suivant, un ami de mon père m’a offert mon premier permis, se souvient Sébastien. Il m’a fait découvrir les multiples facettes de la pêche : sandre au posé au bord de l’Isle, capture des vifs à la volante, premiers black-bass…» En 1994, c’est la rencontre de Jean-Loup, un collectionneur fanatique de Rapala.
En surface, déjà
L’offre en matière de leurres est encore fort restreinte à l’époque et Sébastien en devient lui aussi un fervent utilisateur. Il possède aujourd’hui plus de 4 000 poissons-nageurs de cette marque ! Le poisson-nageur prend donc l’ascendant sur les autres techniques. Sébastien traque consciencieusement tous les carnassiers. Il affectionne particulièrement la pêche aux leurres de surface qui n’était pas franchement au goût du jour à l’époque. Participant à ses premières compétitions, son talent s’affirme. Son inclination pour la marque Rapala ne faiblit pas et il commence à collectionner poissons-nageurs, produits dérivés, mettant également la main sur de nombreux prototypes ou produits destinés à des marchés restreints et inaccessibles au marché français.
Aujourd’hui, son stock, riche de plus de 4000 références, recèle tous les modèles et tous les coloris disponibles, en France et dans le reste du monde. « Nombre de couleurs et de modèles ne sont produits par Rapala que pour répondre à des demandes spécifiques, pour des zones géographiques bien précises, me fait remarquer Sébastien. Si je n’avais pas, au fil des ans, noué de solides et nombreux contacts, je n’aurais jamais eu accès à ces modèles. Certains me sont même envoyés par amitié, sans que j’aie demandé quoi que ce soit !» Mais, l’homme n’est pas obtus et il lui arrive fréquemment d’utiliser des produits d’autres marques en fonction de ses nombreux coups de cœur. Engagé dans l’armée, Sébastien découvre quelques contrées lointaines où il étoffe son expérience. En Nouvelle-Calédonie, il expérimente l’efficacité des cannes casting sur les très gros poissons exotiques.
Casting vintage
Et c’est de là que naît la seconde passion du bonhomme : le matériel baitcasting vintage. « J’ai alors commencé à glaner, ici et là, des cannes et moulinets datant des années 1940, rappelle Sébastien. Plus tard, avec l’arrivée d’Internet, j’ai pu constituer une collection d’une bonne centaine de moulinets parmi les plus emblématiques, de marques américaines, suédoises, japonaises et même quelques françaises également ! »
Opérationnels
Un petit tour dans l’antre du collectionneur permet d’apprécier la beauté de ces matériels du passé. Tous sont opérationnels, tous pêchent régulièrement, Sébastien se faisant un devoir d’organiser un roulement permanent de son stock, afin que chaque objet prenne l’air ! Et contrairement à la plupart des pêcheurs, peu lui importent les conditions du moment. Il décide de partir avec telle canne, tel moulinet et telle poignée de leurres et il pêche avec, point barre. « Même si cela peut sembler aberrant dans de nombreux cas, s’amuse-t-il, je trouve plus valorisant d’essayer de réussir avec l’option choisie plutôt que de chercher à tout prix la technique la plus rentable !»
Le Silly Style
Son intérêt permanent pour les choses disons « décalées » lui fait découvrir l’existence du phénomène Silly Style, un mouvement qui vient du Japon où quelques passionnés relookent du matériel vintage en l’affublant de décors uniques, souvent inspirés du style manga. Certains se sont fait une réputation mondiale, à l’image de Yoshihiko Ando, crafteur japonais, créateur de l’entreprise AHPL (Ando Hand Painted Lures). Sébastien précise que de nombreux artistes proposent aujourd’hui des produits uniques, faits main, et d’une qualité de finition irréprochable. Il en commande d’ailleurs régulièrement. « Le prix est souvent très élevé mais quel plaisir de prendre un poisson avec un leurre unique au monde, s’exclame-t-il. Et quelle déprime aussi quand il finit dans un arbre ou dans la gueule d’un brochet…» Ces trois thèmes de collection occupent l’esprit de Sébastien Minon au quotidien. Le référencement, l’entretien et le rangement d’une telle quantité sont un souci de tous les jours, car la place est bien sûr limitée et la majorité du matériel est destinée à servir. C’est une particularité rare chez les collectionneurs qui, le plus souvent, exposent les leurs dans des vitrines bien fermées. Chez Sébastien, les quelques vitrines ne servent qu’à stocker les objets inutilisables (porte-clés, gadgets, autocollants, etc.).
Tous carnassiers
Car tout le reste doit rester accessible le jour où l’envie le prend d’aller traquer la truite dans la rivière d’Ain, à proximité de son domicile ou d’aller provoquer les black-bass des étangs voisins. Car malgré le temps passé à gérer son immense collection, Sébastien n’en demeure pas moins un redoutable pêcheur, très présent au bord de l’eau. Si tous les carnassiers l’intéressent, c’est souvent sur le black-bass qu’il teste les très nombreux leurres improbables qui peuplent ses étagères. Et le voir prendre un poisson avec son Pikachu jaune vif, une tête de mort flottante ou une effigie de Satan à ailettes a de quoi remettre certaines pendules à l’heure, notamment chez ceux, nombreux, qui ne jurent que par le caractère réaliste des leurres. Sébastien Minon, lui, toujours cordial, toujours souriant, continue sa route, éloignée des sentiers battus, donnant l’impression de pêcher et de vivre dans un univers qu’il s’est créé lui-même de toutes pièces. Tout le monde ne peut pas en dire autant.
Un bon ambassadeur
Il faut préciser que Sébastien n’a pas de lien professionnel officiel avec Rapala si ce n’est qu’il est évidemment sponsorisé par cette marque. Il en est un ambassadeur permanent, toujours prompt à valoriser les nouveaux produits autour de lui. Son honnêteté est bien connue et il n’hésite pas à évoquer également les défauts éventuels de certains leurres. Considérant qu’il n’a rien à vendre, cela ne le rend que plus crédible aux yeux de tous.