C’est un post sur Facebook mi-juillet de Laurent Degrave, technicien de rivière au Parc naturel régional des Landes de Gascogne depuis 2001, qui nous a interpellés. Laurent signalait une « invasion d’écrevisses de Louisiane (Procambarus clarkii) sur la Leyre depuis l’aval (zones inondables) vers l’amont du fleuve et ses affluents », en notant que « tout l’ouest de la France était particulièrement concerné cette année ». « C’est la première fois, depuis près de 25 ans que je travaille pour le Parc naturel, que je vois un phénomène de cette ampleur, affirme notre témoin joint au téléphone. Il y avait à peu près 10 individus par mètre carré sur certaines zones du lit majeur du fleuve, entre Belin-Béliet et Salles. L’espèce s’est dispersée un peu partout, des gens en ont trouvé dans leurs jardins, dans leurs piscines, on s’est rendu compte de l’invasion ». Dans la presse locale, un homme expliquait entendre au volant de sa voiture les « crac crac » des carapaces qu’il écrasait sur la route !
Le brochet en pâtit
À la sortie de l’hiver, le parc naturel régional des Landes de Gascogne avait réalisé une pêche électrique dans un marais : dans les épuisettes, pas de brochetons comme attendu, mais des écrevisses de Louisiane de 2 cm. « On avait observé des carapaces dans les déchets des loutres dans les années 2000, il y avait un équilibre, on ne s’inquiétait pas plus que ça, note Laurent Degrave. Mais cette année, on a eu huit mois de niveaux d’eau très hauts et des températures clémentes, les écrevisses se sont démultipliées. » Les jeunes sujets mangent en majorité les œufs de poisson comme ceux des brochets et d’insectes notamment des libellules, puis préféreront les algues et autres plantes aquatiques. L’écrevisse de Louisiane creuse des galeries dans les berges, entraînant souvent leur effondrement. Une catastrophe.
La FNPF réagit
Les prédateurs naturels (hérons, loutres, brochets, black-bass et même sangliers) ne sont pas assez nombreux pour lutter. Rappelons qu’une femelle écrevisse de Louisiane porte jusqu’à 700 œufs. Elle se distingue surtout par sa maturité sexuelle précoce : 3 à 6 mois contre 1 à 2 ans pour les écrevisses de Californie et américaine, et même 2 à 4 ans pour nos écrevisses autochtones ! Face à la situation, la FNPF a communiqué sur sa page Facebook le 14 août : « La présence de cette espèce exotique envahissante (EEE) a des conséquences désastreuses sur la biodiversité locale, pouvait-on lire. Comme les autres écrevisses originaires d’Amérique qui sont également des EEE, elle met en péril l’équilibre de nos milieux aquatiques en se nourrissant d’œufs de poisson, de plantes aquatiques, et surtout en transmettant la “peste de l’écrevisse” aux espèces autochtones. Face à cette situation, mais aussi tout simplement parce qu’elle est très ludique et facile d’accès, sa pêche est vivement recommandée ! »
Carte de pêche
Le problème, c’est que la réglementation actuelle est contraignante. Il faut impérativement être possesseur d’une carte de pêche et les balances sont limitées à six par personne (maille supérieure à 10 mm et diamètre maximum de 30 cm). Attention, une fois pêchées, il est interdit de transporter les écrevisses exotiques vivantes (arrêté du 14 février 2018). Un peu drastique pour une espèce à exterminer ! D’ailleurs, un chef-cuisinier étoilé, Frédéric Doucet à Charolles, a voulu intégrer les écrevisses à sa carte. Mais ces contraintes ont mis fin à ses espoirs. Il espère une réglementation plus souple à l’avenir : « Je trouve que ce serait logique, témoignait-il cet été à nos confrères de France 3 Bourgogne-Franche Comté. On parle d’empreinte carbone, on est là à acheter des écrevisses qui viennent de loin et on a ça à notre porte. Est-ce que ce n’est pas le moment de déverrouiller quelque chose ? » Les lignes vont peut-être bientôt bouger. Pour la première fois, à titre expérimental cet été, des pisciculteurs de l’Indre ont reçu l’autorisation de commercialiser les écrevisses de Louisiane qui envahissent les étangs de Brenne.
Simple et ludique
Ces quelques euros à dépenser pour la carte de pêche ne doivent toutefois pas être un frein selon Laurent Degrave, qui note très justement que « la rivière nous donne beaucoup, elle nous rend des services gratuits : elle traite l’eau, stocke du carbone, accueille des canoës kayaks… finalement c’est un geste citoyen de lui donner quelques euros en retour, on y gagne de toute façon financièrement ». En tout cas, pour ceux qui sont dans les règles, la pêche de l’écrevisse exotique est simple et amusante, elle est souvent pratiquée en famille et fait le bonheur des enfants. On place dans la balance (dont le coût est d’une dizaine d’euros) des croquettes pour chiens ou une carcasse de poulet par exemple et on relève de temps en temps. Si le poste est bon, c’est le jackpot assuré ! Les écrevisses exotiques doivent être tuées sur place (châtrées) et il faut simplement prendre le coup de main. Au bout de la queue, saisir l’écaille centrale, faire un quart de tour dans un sens puis dans l’autre, puis tirer délicatement pour enlever le tube digestif du crustacé. Il suffit ensuite de rincer les écrevisses plusieurs fois et de les faire cuire au court-bouillon. Avec des pâtes, c’est un régal !
Les différentes écrevisses en France
L’écrevisse de Louisiane a été introduite en Espagne en 1973 pour l’aquaculture puis illégalement en France en 1976. Elle peut atteindre une quinzaine de centimètres. On la reconnaît facilement par ses tubercules rouges sur les pinces. Neuf espèces d’écrevisses ont été observées en France :
- Les autochtones : écrevisses à pattes blanches, à pattes rouges, à pattes grêles et des torrents.
- Les envahissantes : écrevisses américaines, de Louisiane, de Californie, calicot et juvénile.
Source : FNPF