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De manière générale, les écrevisses suivent une croissance très lente. Nos vieux sujets ont régulièrement plus de dix ans. Les grands représentants se retrouvent chez les écrevisses à pattes rouges (Astacus astacus) qui atteignent près de 18cm (notre photo), de l’extrémité du rostre à la base du telson (la queue). Ces grands spécimens français n’atteignent cependant pas la taille de leur lointaine cousine, l’écrevisse géante de Tasmanie (Astacopsis gouldi) qui peut mesurer 80 cm pour un poids de près de 6 kg ! Cette taille va évidemment de pair avec une longévité record, 40 ans pour certains individus.
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Fait marquant, notre pays compte désormais dans ses eaux plus d’espèces introduites (6) que d’autochtones. Néanmoins, parmi elles, l’écrevisse à pattes grêles (Astacus leptodactylus), originaire d’Europe centrale, est aujourd’hui reconnue comme faisant partie intégrante de notre faune française. Toutes les autres espèces sont en fait issues d’Amérique du Nord: écrevisse américaine (Orconectes limosus), signal (Pacifastacus leniusculus) et de Louisiane (Procambarus clarkii) pèsent énormément sur nos espèces indigènes, sur la biodiversité locale ainsi que sur les biotopes. Elles sont les plus répandues en France grâce à leur forte élasticité thermique et hydrologique. Ces trois espèces invasives sont accompagnées de deux autres, plus discrètes: l’écrevisse juvénile (Orconectes juvenilis) et l’écrévisse calicot (Orconectes immunis). Moins représentées, ces deux-là ne sont pas pour autant inoffensives pour les populations locales.
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Si ces crustacés sont très communs dans nos rivières, lacs et étangs, en France les vraies écrevisses autochtones sont finalement assez rares, payant leur hyper-sensibilité et à la pression des espèces introduites. Elles sont au nombre de trois: l’écrevisse à pattes blanches (Austropotamobius pallipes) est de loin l’espèce la plus répandue dans une grande partie de nos régions. On croise l’écrevisse à pattes rouges essentiellement entre la Lorraine et la Bourgogne. Enfin, l’écrevisse de torrent (Austropotamobius torrentium) ne dispose que de quelques rares populations connues, très localisées sur la Haute-Savoie, la Moselle et le Bas-Rhin.
1990
Longtemps, on a cru que l’écrevisse des torrents avait totalement disparu de notre réseau hydrographique français. Pourtant, en 1990, des pêches d’inventaire ont permis de retrouver par miracle ce crustacé dont l’aire de répartition se cantonne au centre de l’Europe, sur une diagonale Allemagne-Macédoine. En France, il n’existe officiellement que deux petites populations localisées en Moselle, ainsi qu’une en Alsace. Une troisième implantation aurait été identifiée plus au sud, en Haute-Savoie. L’écrevisse de torrent est une espèce très sensible qui apprécie les eaux fraîches, bien oxygénées et de bonne qualité. Chez nous, elle ne fréquente aujourd’hui plus que quelques rares têtes de bassin des zones à truites.
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Aujourd’hui, la présence en masse de ces espèces invasives a un impact environnemental important sur nos écosystèmes. L’introduction d’écrevisses en France débute au début du XXe siècle, l’américaine étant la toute première, vers 1910. C’est aujourd’hui la plus abondante, présente sur l’ensemble du territoire. Les années 1960 s’accompagnent du développement et de la modernisation de l’astaciculture (élevage d’écrevisses). On mise alors sur une précocité sexuelle, une rapidité de croissance accrue et une résistance importante. En 1970, c’est l’écrevisse signal qui débarque, accompagnée quelques années plus tard par l’écrevisse de Louisiane
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Comme tous les crustacés, les écrevisses possèdent un exosquelette qu’elles doivent reconstituer plus ou moins souvent au cours de leur croissance. Les espèces françaises grandissent assez doucement. La mue est une épreuve toujours périlleuse pour ces animaux fragiles. Si les écrevisses à pattes blanches adultes muent en général une à deux fois par an, les juvéniles, eux, connaissent dans leur première année une croissance plus forte qui les oblige à muer jusqu’à sept fois. Durant cette phase critique, ces jeunes sont en effet particulièrement exposés à la prédation ainsi qu’au cannibalisme.
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Non seulement l’introduction de l’écrevisse américaine s’est avérée être un fléau pour les populations autochtones, mais elle serait en outre arrivée porteuse d’une pathologie incontrôlable, la peste de l’écrevisse, due à une sorte de champignon (Aphanomyces astac). Si les espèces américaines y résistent, devenant même des porteurs sains, les espèces indigènes y sont, elles, toutes très sensibles. Pour un sujet contaminé, c’est quasiment la mort assurée. Certaines populations ont ainsi été totalement décimées. À ce jour, il n’existe aucun antidote, mais il semble que le virus varie suivant les secteurs. On espère confirmer une possible mais très lente adaptation entre l’hôte et l’agent pathogène.
600
Chez les écrevisses, l’accouplement est appelé plaquage. Il a généralement lieu une fois par an sauf chez l’écrevisse de Louisiane qui a la capacité de se reproduire une seconde fois. Les œufs fécondés sont pondus quelques jours voire plusieurs semaines plus tard. La femelle les incube, de longs mois parfois, au niveau de son abdomen entre ses pléopodes, ces petits appendices articulés qui favorisent leur oxygénation. Si nos écrevisses locales sont en capacité de ne produire le plus souvent que quelques dizaines d’œufs, l’écrevisse de Louisiane est capable d’en pondre jusqu’à 600 ! Après éclosion, toutes ces larves restent attachées, encore dépendantes de leur mère. Il faut attendre une seconde mue pour que les juvéniles soient totalement formés et acquièrent enfin leur indépendance !
365
La baisse généralisée des effectifs ne permet (presque) plus de pêcher nos écrevisses autochtones, sinon très localement et quelques jours seulement dans l’année. Mais l’abondance des autres espèces permet de pêcher 365 jours par an les espèces classées comme étant invasives. Il n’y a alors ni limite de taille ou de quantité. Les autorités demandent simplement de disposer de la carte de pêche. En revanche, leur statut de nuisibles interdit de les transporter vivantes. La mise à mort du crustacé est facilitée par le retrait du teslon, directement relié à l’intestin. Simple, rapide et efficace. Reste à les cuisiner et à les déguster !