En rassemblant plus de 3000 espèces différentes à travers le monde, les cyprinidés constituent la plus grande famille de poissons d’eau douce. Symbolisés dans l’imaginaire populaire par les carpes ou les poissons rouges, et même si l’on sait que des dents pharyngiennes leur permettent d’accéder aux protéines des graines, des fruits, des coquillages ou des escargots en faisant éclater coques et coquilles même les plus solides, ils restent souvent considérés comme de paisibles mangeurs de plantes et d’invertébrés. Pourtant, parmi tous ces cyprinidés, quelques-uns se sont spécialisés dans la chasse et la consommation d’autres poissons, c’est le cas de ce superbe Hampala barb (Hampala macrolepidota).
Un grand cyprinidé prédateur
C’est en Asie du Sud-Est qu’il faudra se rendre pour croiser sa route. Sa zone de distribution s’étend essentiellement sur les bassins des fleuves Mekong et Chao Praya, mais aussi en Indonésie et sur la péninsule malaise. Concrètement, on peut donc le trouver dans les pays suivants : Birmanie, Cambodge, Chine, Indonésie, Laos, Malaisie, Thaïlande et Vietnam. Hampala barb présente la silhouette d’un barbeau avec de grosses écailles et une gueule plus fendue et plus grande. Typiquement, il a tout à fait l’allure des nombreux mahseers que l’on trouve dans toute l’Asie et qui sont ses cousins. Les flancs sont argentés, très brillants, parfois légèrement dorés. On remarque immédiatement chez Hampala barb une large marque sombre et verticale qui traverse le flanc entre la dorsale et les pelviennes. Elle est une clé d’identification simple et efficace même si elle est plus franche chez les jeunes sujets et qu’elle a tendance à s’estomper, jusqu’à presque disparaître, chez les plus gros individus. L’ensemble des nageoires (hormis la dorsale plutôt grise) est teinté d’un joli ton orangé. Les deux lobes pointus de sa caudale très fourchue sont ourlés d’un liseré noir très dense qui participe beaucoup à la beauté de ce poisson. À la différence des mahseers qui affichent quatre barbillons généralement longs et très visibles, le barbeau de jungle n’en possède que deux petits, très discrètement implantés au coin de la gueule, même si leur longueur reste toujours supérieure au diamètre de l’œil.
Écologie et comportement des barbeaux de jungle
De par son comportement natif, le barbeau de jungle est un poisson de rivière qui apprécie les courants modérés à soutenus, mais pas torrentueux. Pour autant, avec les nombreux barrages hydroélectriques édifiés dans cette partie du monde (comme partout sur notre planète), l’espèce s’est désormais adaptée aux eaux calmes des lacs artificiels ainsi créés. Seules les eaux marécageuses et très peu profondes semblent lui déplaire. En revanche, tous les pêcheurs s’accordent à dire qu’elle adore rentrer à l’intérieur des forêts inondées au moment de la saison des pluies. Les juvéniles (jusqu’à 50 à 80 mm), qui ont un look franchement différent puisqu’ils présentent une deuxième barre sombre sur le pédoncule caudal et une tache noire en forme de larme sous l’œil, se nourrissent essentiellement de larves et d’insectes.
Pêcher les Hampala barb
Si, dans certains lacs de barrage, il a été constaté que les barbeaux de jungle, même au stade adulte, restaient sur une alimentation constituée à plus de 70 % par des insectes aquatiques, dans la très grande majorité des cas, ils se tournent rapidement vers la chasse et la consommation d’autres poissons. On aura donc à faire à un prédateur vorace, souvent très violent lors de ses attaques, ce qui ravira le pêcheur sportif. Il semble qu’en certaines circonstances, les Hampala barb se rassemblent lorsqu’ils entrent en activité alimentaire; en Thaïlande, j’ai pu assister à ce genre de chasses dans les bancs de petits poissons ou de crevettes, croyez-moi, elles sont très spectaculaires. Mais, dans la très grande majorité des cas, le pêcheur voyageur découvrira ces poissons en venant pêcher le snakehead, une famille à la réputation bien supérieure et bien plus médiatisée (voir BSM n° 101, les snakeheads). Car le barbeau de jungle attaque toutes sortes de leurres, de mouches, de streamers, et notamment tous ceux que l’on destine aux différentes espèces de snakeheads, y compris les leurres de surface comme les célèbres grenouilles thaïes précédées d’une hélice.
Le pêcheur sera alors surpris par la violence de l’attaque et par la vigueur du barbeau de jungle lorsqu’il se débat au bout de la ligne. Certains pêcheurs en font même leur cible principale et délaissent les snakeheads au profit des Hampala barb tant leur capture est spectaculaire. Il faut dire aussi que, bien que ces barbeaux soient très appréciés pour leur chair et très exploités dans toute l’Asie du Sud-Est comme poisson de table, ils ne sont pas menacés et restent encore très bien représentés sur toute leur aire de distribution. Ils restent donc un objectif relativement facile et accessible pour les pêcheurs sportifs, au contraire de certaines espèces de snakeheads qui se raréfient. Pour rechercher spécifiquement le barbeau de jungle, il faudra privilégier des berges constituées de substrats de sable, de terre et de limons où le fond descend rapidement. Le record All-Tackle IGFA du barbeau de jungle (Hampala macrolepidota) date du 22 septembre 2002 et atteint 6,5 kg. Il est en provenance de Temengorr lake, un grand lac de barrage à vocation hydroélectrique du Nord de la Malaisie. Ce superbe poisson a succombé à un classique Rapala Fat Rap. Toutefois, de nombreux récits de pêcheurs locaux évoquent des sujets pouvant atteindre 8 kg; alors, record à battre : à vos cannes…